
Elena Ferrante, Les jours de mon abandon
folio 2002, 275 p.
Dernier volet chronologique avant L’amie prodigieuse. Comme les autres, ce roman parle d’un épisode qui se retrouve dans L’amie prodigieuse en moins développé. Ici, il est poussé à son terme et à son comble.
Olga est quittée par son mari et tombe dans un état dépressif proche de la folie (quand bien même elle qualifie cette journée-clé de « journée d’irréalité excessive » (p 212). Pendant quatre mois, elle déclare « s’étudier moi-même avec précision et médisance » (p 238), jusqu’au paroxysme de la colère qui explose en violence verbale (obscénités, vulgarités, méchancetés), physique (agression de l’ex-mari), sexuelle (scène de copulation décrite froidement, sans pudeur et avec dégoût) et d’impuissance (elle est incapable de sortir de chez elle à cause de la clé, le téléphone en panne, les fourmis envahissantes, l’enfant malade, le chien mourant, etc.).
Le corps reste bien au cœur de l’histoire. La femme de trente-huit ans ressent le traumatisme dans sa chair avec la même intensité que sur le plan moral. La référence à la mère est encore une fois présente : les relations entre Ilaria et Olga entrecroisent les responsabilités : la fillette devient la mère lorsque la mère perd pied (Olga lui demande de la piquer pour la réveiller), la fillette s’occupe de son frère malade (les trois pièces de monnaie), etc., alors que la mère redevient la fillette de huit ans regardant « la pauvrette » (une autre femme abandonnée) qui part se noyer. Ilaria confie, après s’être maquillée et habillée avec les vêtements de sa mère : « nous sommes pareilles toutes les deux » (p 176).
Ce volte-face de la femme dans la tête de la petite fille se retrouve dans Poupée volée (l’adulte vole la poupée de la petite fille : elle joue avec la poupée comme si elle était cette petite fille).
La narratrice de Les jours de mon abandon affirme qu’ : « écrire véritablement revient à parler depuis le fond du ventre maternel ». Ce ventre maternel était déjà omniprésent dans L’amour harcelant (voir article dédié). Les mères s’interchangent mais leur langue est toujours le dialecte napolitain, violent, vulgaire dont la femme cultivé a essayé de se débarrasser aussitôt qu’elle a pu, comme se séparer de la mère pour y revenir ensuite.
C’est donc un roman qui décrit une descente aux enfers, un roman aussi brûlant de l’intérieur que le regard froid qui semble être porté de l’extérieur, comme derrière la vitre d’un bocal.
Voir aussi les articles sur L’amie prodigieuse, L’amour harcelant, Poupée volée et Frantumaglia.