
Boualem Sansal, Petit éloge de la mémoire
folio 2007, 134 p.
Boualem Sansal s’accapare le « je » de la narration pour incarner un personnage allégorique qui traverse le temps, naît et meurt puis renaît à chaque ère. Il matérialise ainsi l’âme de son peuple.
L’Égypte est la « mère du monde », qu’elle s’appelle Égypte, Numidie ou Algérie ou bien encore Maghreb. Le récit à la première personne, au ton simple mais lucide, traverse le pays depuis le temps des pharaons, à l’instar de son peuple qui bouge, change de nom, de rois et de dieux, pérégrine avec cet esprit tribal, nomade et combatif.
L’auteur redessine le jeu d’échecs politique et militaire des guerres et des traités, sans oblitérer les trahisons, les manigances et les disputes : c’est ce qui rend le jeu plus excitant, car le repos, c’est l’ennui, selon le regard avisé de l’historien. Endossant l’érudition d’un esthète, il retrace une épopée, des origines à nos jours avec ses temps morts, ses ralentis, ses reprises de vitalité. Mensonge ou leurre de ce qui nous est donné à étudier après coup, l’écrivain s’identifie au pays. Si l’émotion le submerge parfois : « J’en ai pleuré les larmes de mon corps » (p 96), « revisiter ce temps est un bonheur, tout y est : la légende, la bravoure, l’esprit chevaleresque et l’humour » (p 113). En digne représentant de ses ancêtres, B. Sansal honore leur mémoire.
Quand est-il de la nostalgie ? La nostalgie magnifie le passé et « aide à passer les jours, à se reposer de ses peines, à échanger des rêves, à se construire un avenir commun » (p 18). Elle a le charme d’égrener des noms oubliés, aux consonances fières, épiques et fabuleuses. Néanmoins, elle « se nourrit d’événements précis, de choses concrètes, de chiffres honnêtes, l’imagination à partir de la fumée je m’en méfie » déclare l’auteur, scrupuleux. Pour lui, « Le livre […] rien n’alimente mieux la nostalgie, cet allant qui nous fait revivre dans le calme ce que la vie nous a donné à vivre dans la précipitation, et connaître ce qu’elle nous a refusé de voyages, d’héroïsme, de savoir, de liberté, d’amour, de gloire, de grandeur » (p 128). Le passé s’assimile ainsi au présent pour servir de base à l’avenir.
Citations:
– p 10 « L’humanité n’a jamais cessé d’aller et venir, cherchant ceci, fuyant cela, et toujours, comme par miracle, se maintenant dans l’espoir de revenir au point de départ regardé comme l’aboutissement, la fin du voyage. »
– p 11 « Quelque part, ne l’oublions pas, nous sommes des chasseurs d’impossible. »