
Shyam Selvadurai, Jardins de Cannelle
10/18, 1999, 361 pages, (titre original : Cinnamon Gardens).
Jardins de cannelle : titre du livre qui reprend le nom d’une banlieue de Colombo, capitale de Ceylan, colonie britannique devenue république socialiste démocratique du Sri Lanka. Ce quartier huppé doit son nom aux camphriers, cinnamomes et plantes tropicales qui forment le décor opulent des riches familles ceylanaises qui y demeurent (p 20).
Les années 1920 recouvrent une période de revendication pour l’autonomie pendant lesquelles les choix balancent entre l’autodétermination, le suffrage censitaire ou universel. Les classes aisées, qu’elles soient anglaises ou ceylanaises fortement imprégnés d’anglicité, se campent sur des positions élitistes et ne demandent qu’à conserver leurs acquis.
Les hommes, d’un côté, « avaient appris à vivre avec cette tyrannie » (celle de l’Empire britannique) (p 37). D’un autre côté, les femmes, confinées par la religion, la bienséance et l’autorité masculine “passaient l’essentiel de leur temps sous la véranda” (p 22), à parler mariage.
Qu’elle que soit la domination donc, les propos de l’auteur alternent entre les désirs de liberté et l’acceptation. Le roman est construit sur une alternance de chapitres, entre le destin contrarié du couple homosexuel que forment Balendran et Richard et celui d’Annalukshmi, dans une sphère féminine étriquée. Les conventions patriarcales, bourgeoises et religieuses du chef de famille, non sans défauts (égoïsme, luxure, incompétence, injustice…), le place sur un trône encore incontesté d’où il est obéi et adulé. Jusqu’aux premières revendications, là aussi !
À l’instar des « fleurs qui s’inclinaient amicalement à l’adresse des visiteurs » dans l’allée qui menait du domaine paternel à la maison du fils (p 23), la haute société, malgré son prestige et ses privilèges, est en pleine mutation.
Chaque chapitre se présente avec pour exergue un verset du Tirukkural – recueil tamoul de la littérature classique regroupant aphorismes et enseignements en vue de mener à l’harmonie et à la sagesse –, l’espoir étant qu’il porte ses fruits, tôt ou tard.
Ce livre fait partie de ma liste “Titres d’ordre végétal” ici
Citations:
P 61 : « Le Mudaliyar était un fils, et qui plus est un fils aîné (…). Depuis sa plus tendre enfance, on lui avait appris à ressentir sa supériorité, son droit de n’être jamais contrarié ».
P 89 : « Elle était certaine que les Macintosh avaient dit oui en dépit de la « réputation » de sa fille : il fallait que leur fils eût un défaut ».
P 170 : « La jeune fille associait toujours l’odeur d’herbe fraichement coupée aux évènements très particuliers »
P 201 : « main dans la main ils faisaient le tour de la propriété, repassant les événements du jour et les modifications du jardin ».
P 284 « Son âme se tendait contre les limites de cette vie, aspirant à jaillir au-dehors mais elle était désespérément confinée. »