
Roland Barthes, Le plaisir du texte
Points 1973, 105 p
Je me suis replongée à des années d’écart dans la lecture de ces courts paragraphes, à l’image de pensées ponctuelles. Sans transition ni coordination, sans classement, le lien thématique s’y développe librement. Il conviendrait d’agir comme l’auteur le préconise : grappiller (p 68), survoler, revenir et confirmer le fait qu’en deux lectures – comme dans mon cas présent – les passages que l’on retient (ou pas) ne sont pas les mêmes (p 22).
La métaphore implicite, filée tout du long, se situe entre le texte et le sexe. Elle s’explicite page 30 : « Le texte a une forme humaine, c’est une figure, un anagramme du corps ? Oui, mais de notre corps érotique » (sic). Il en résulte une tentative de définition et de distinction entre plaisir et jouissance. Ce sont selon Roland Barthes des « forces parallèles » dont l’incommunicabilité se joue entre « contentement » et « évanouissement » (p 33), entre « précarité » et « précocité » (p 83), entre « culturel » et « inculturel » (sic, p 99)…
Ce texte présente une conception abstraite bien que physique, érudite et élitiste, aristocratique ( ?) de la littérature. L’auteur interprète les clivages politiques du plaisir du texte et de la jouissance, qu’il situe entre la Droite et la Gauche, d’où il conclut un « érotisme de classe » (p 62). D’un point de vue historique, il constate une évolution – bien présente de nos jours – des valeurs, depuis le noble et le vil jusqu’à l’ancien et le nouveau (p 66).
L’écrivain, qui aime les néologismes, suggère en définitive de « définir la théorie du texte comme une hyphologie (hyphos, c’est le tissu et la toile d’araignée) » (p 101). Aujourd’hui, on pourrait penser au web (la toile) comme à une consécration. Mais l’intellectuel qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle nous soumet une autre sorte d’épiphanie : « l’écriture à haute-voix » (p 104-5). Car c’est ainsi que l’on pourrait entendre « le grain » de la voix, et sentir celui de peau.
Citations :
P 10 : « le texte de plaisir, c’est Babel heureuse »
p 25 : « Texte de jouissance : celui qui met en état de perte (…), fait vaciller (…) »
P 13 : « Le texte que vous écrivez doit me donner la preuve qu’il me désire »
P 24 : « C’est toujours la même question : Qu’est-ce que c’est pour moi ?… »