
Jess Kidd, Les voleurs de curiosités
Les presses de la cité, 2021, 476 p (titre original : Things in jars)
Le monde de Jess Kidd vaut le détour si l’on n’a pas peur de découvrir les bas-fonds de Londres. Avec force détails l’écrivaine plante un décor sombre, insalubre et glauque (au sens premier du terme : le vert qui tire sur le bleu, une couleur pâle et triste) qui ressemble fort à ce qu’il a pu être au XIXe siècle. Au cœur de ce cloaque évoluent des misérables de toutes espèces : pauvres et malchanceux mais aussi brigands et pervers. La cruauté est partout et les monstres ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
Mais c’est sans compter Bridget (Bridie) Devine qui n’a nullement froid aux yeux. En tant qu’investigatrice, elle sort de sa propre condition (orpheline, pauvre, femme) et ramène un peu de justice dans le chaos en retrouvant les enfants perdus. La narration alterne entre son enfance (1837-1841) et le temps de l’histoire (1863). Le ton est enlevé, l’humour présent et même ses petites hallucinations (dues au mélange de tabac qu’elle fume ? ou à un regret enfoui dans sa mémoire…) donnent au voyage un côté fantastique.
Chacun a son fantôme qui le hante, ses manies qui l’obsèdent et ses travers qui le poussent, le trahissent ou le broient. On y retrouve des airs de R. L. Stevenson, de E. A. Poe, de Jack l’éventreur, des monstres de foire et des voleurs de cadavres, des anatomistes et des résurrectionnistes, des collectionneurs de « curiosités » (d’où le titre français) qu’ils mettent en bocal (« jars » en anglais). Une fin rocambolesque vient clore sans réduire le mystère d’un mythe qui oscille entre sirène et merrow.
Citations :
– “Comme tout spectacle terrible et ahurissant, il commence par provoquer une onde choc, puis engendre une fascination hypnotique, suivie d’un malaise nauséeux, et enfin tout recommence : le désir de regarder et le désir de ne jamais l’avoir fait.” (p 103).
– « Avec la liberté de mouvement vient la liberté de regarder, car (…) la principale préoccupation d’un gentilhomme n’est-elle pas de voir plutôt que d’être vu ? » (p 285).