
Italo Calvino, Le baron perché
1957 Points, 322 pages, titre original : Il Barone rampante.
C’est avec plaisir que j’ai relu ce livre pour les besoins de ma liste “Titres d’ordre végétal”.
Car le baron est perché…dans les arbres !
De là-haut, il voit la terre et ses habitants sous un angle nouveau et sa différence, au début perçue comme une monstruosité (animalité, folie), se transforme en une originalité qui se révèle pleine de ressources.
En effet, le baron qui fait défi de ne jamais remettre le pied sur le sol, non seulement tient sa promesse mais participe à la vie générale presque comme avant. Et le « presque » n’apporte qu’avantages pour tout le monde.
Cette robinsonnade ne manque ni de piquant ni de profondeur, tout en sachant garder sa légèreté.
Avec Le vicomte pourfendu et Le chevalier inexistant, Le baron perché fait partie d’un trio que l’on a qualifié de conte philosophique, fortement empreint des idées du siècle des Lumières auquel il rend hommage.
Développements :
Le jeune Côme, 12 ans, baron d’Ombreuse, de la République de gêne en 1770 se révolte contre l’autorité d’un père qui veut lui faire manger des escargots. Ce détail du quotidien fonde le récit. Il rejettera – avec les escargots – les conventions aristocratiques, les politiques seigneuriales et les lois de la propriété terrienne. Car « vu d’en haut tout est plus petit » (p 138) et cette philosophie de la distanciation deviendra son mode de vie, entre ciel et terre (p216 ).
Aidé au début par son frère Blaise (qui racontera son histoire), Côme défie le monde (p 25). Il grimpe dans une Yeuse (un chêne vert, p 52) pour devenir ses yeux. Et de là-haut, il va vivre « presque » comme avant : construire d’un abri puis petit à petit toutes les commodités (p 97 ), cuire sa nourriture qu’il a chassé avec ou sans son basset, utiliser la rivière au nom éloquent de Merdance pour ses besoins naturels, ajuster une gouttière pour recueillir l’eau, recevoir des invités, se confectionne des habits, les (faire) laver, etc.
Il n’est pas isolé (p 53). Il rencontre d’autres enfants en toute liberté (sans les parents et leur animosité de voisinage). Il n’est ni arrêté par des murs, ni par d’autres obstacles, mais apprécie davantage de communicabilité et de jeux.
Il n’est donc pas inutile : il dialogue avec les paysans qui, tout d’abord, le prennent pour un original (p101) qui joue à un “jeu de riches”. Il se fait accepter, s’instruit avec l’abbé puis avec l’oncle, entretient une correspondance érudite et devient capable d’avertir des feux de forêts (p 160), des rapines des brigands et de l’arrivée des pirates (trahison de l’oncle, p 169). Il combat avec les mahométans (p 174), etc.
il n’est pas malheureux et découvre l’amour (p 62) avec Capelinette. Moteur d’énergie, de jalousie, d’amitié et de sujétion (p 35), le roi devient “esclave” de Violette (et d’Ursule (p 197) lors de l’exil des espagnols dans les platanes). Violette (p 228) l’abandonne finalement pour des polyamours.
Il découvre sa passion pour les livres, dévorante et néfaste pour un être sans raison (le brigand p 140-1). Il parfait ses talent arboricoles (p 155), de la taille des arbres à l’entretien des frondaisons (p 156).
Côme tiendra son défi : rester lui-même (p 317). Il attrape une montgolfière et disparaît dans les airs, à 65 ans. Il tiendra sa promesse de ne pas remettre le pied au sol et donc de ne pas être enterré.
Ses parents ont fini finit par l’accepter (p 66 ) et son père va à sa rencontre pour lui remettre l’épée familiale. Sa mère dialogue avec lui par signaux…
Le jeune baron apprend la vie silencieuse et bruyante des arbres (p 110): chaque arbre ayant ses avantages et ses inconvénients. Sa vie indépendante (p 32 ) devient enviable (p 34), il apprend à se défendre (fuite devant la répression des cultivateurs comme un chat sauvage qui lui permet en revanche de combattre (p 80) et de vaincre (p 232, 283). Il défend ses idées concernant la propriété du sol/ciel (p 49), la déforestation… en écrivant : La république d’Arborée (p 213) : une société idéale sous la bannière de l’arbre de la liberté (p 291), parle de la révolution française, participe aux grands évènements, rencontre les congrégation de la Franc Maçonnerie (p 306)et la guerre avec Napoléon, à Milan.
Il passe en quelque sorte de l’animal monstrueux (originalité = diablerie) selon l’abbé (p 64) à l’écureuil ou l’oiseau (p 55), transformation méliorative, s’il en est! (p 301) avant de se “végétaliser” (p 38).
D’« un jeune homme (…) né au sommet d’un arbre et (…) victime d’un enchantement qui l’empêche de mettre pied à terre » et d’une moquerie de petite fille ressort la notion de sortilège et de privilège.
Citations:
– p 317 : ” C’est en restant impitoyablement lui-même, comme il le fit jusqu’à sa mort, qu’il pouvait donner quelque chose à tous les hommes.”
– p 321 : “Ombreuse n’existe plus. Quand je regarde le ciel vide, je me demande si elle a réellement existé. Ces découpes de branches et de feuilles, ces bifurcations, ces lobes, ces touffes, fouillis menu et innombrable […] C’était une broderie faite sur du néant, comme ce filet d’encre que je viens de laisser couler, page après page, bourré de ratures, de renvois, de pâtés nerveux, de taches, de lacunes, ce filet qui parfois égrène de gros pépins clairs…”
NB. Voici une courte présentation de la trilogie: une vidéo de ma création qui a remporté un lot de Goodies de la part de Babelio (que je remercie). (cliquez dessus pour commencer)