
Nathalie Léger-Cresson, Le sens du calendrier
des femmes, Antoinette Fouque 2020, 171 p.
Au début, je ne voyais pas où l’autrice voulait en venir. Puis je me suis laissée aller à la suivre et j’ai déambulé dans le labyrinthe de ses pensées vagabondes. Je ne sais pas si j’ai toujours su où je mettais mes pieds, dans ses pas, mais j’ai compris surtout qu’il fallait parcourir ce chemin pour arriver quelque part.
De digressions en coq à l’âne, d’enchaînements d’idées ou d’images en bifurcations, drôles, poétiques, parfois tristes ou déchirantes ( l’amour perdu, XX, la SDF, Fukushima, la femme qui se gratte, etc.), l’humour, toujours présent, passe du loufoque au burlesque et tout peut arriver (le cochon, p 67).
Comme Alice, il faut suivre le lapin (ou le cochon) car en attendant, “Il existe des piles de livres sans chapitres, d’autres où ils sont très brefs, c’est comme pour le jambon, je vous les fais fines ou épaisses ?” ( 67)
Les exergues préviennent : il s’agit d’une robinsonnade ou “robinsonnée” (titre du premier chapitre et terme repris dans le texte). Un joli néologisme!
Sans lamentations ni reproches, la narratrice nous fait survoler certains détails de sa vie: la rupture, les deux filles, la méningite de l’une d’elle, la seconde épouse de l’ex-mari, et au fil de ses cauchemars ou des actualités chaotiques : le tsunami, un voyage au Groenland, un virus qu’elle appelle Corona (comme la bière mexicaine), et bien d’autres choses encore.
Le texte dialogue à une voix : l’autre est interpellé. Il ou elle est celui ou celle auquel/à laquelle l’autrice s’adresse. Il/elle est son lecteur/sa lectrice et en tant que celui /celle qui la comprendra, son prochain amour peut-être…un.e ami.e, en tout cas, si on reste avec elle (p 112: “tu es encore là ?”) pour discuter, dans un vrai dialogue à deux : “Et puis tu me poserais tes questions” (p 106). La différence est mise en relief par une police plus petite.
Le récit colle au “flux du temps”(pas le calendrier sur lequel on en a aucune prise (p 165)), avec ses ruptures, ses accélérations, ses climax et ses basses fosses. Le style de l’écrivaine s’adapte, s’accroche, se débat : caractères gras (p 60), polices de taille qui varie, grandit (p 37) et tombe (p 84), décalage typographique de lignes (p 84) ou de mots, coupés (p 81), sens de lecture : verticale pour le mot “vertical” (p 162) ou en escalier pour suggérer le sautillement (p 101), effet d’écriture manuscrite (p 75), phrases inachevées (p 89), ou encore un mélange d’échelles de mots avec anagrammes phoniques (p 35)…
Pourtant Le sens du calendrier voudrait donner un sens (directionnel ou sémantique) au cheminement. En examinant l’étymologie, l’histoire, l’influence cyclique de la lune par exemple, Nathalie Léger-Cresson poursuit son manque, linéaire ou en spirale. En marquant les jours qu’elle grave comme une prisonnière sur la table d’une prison (p 26), elle attend la délivrance (p 143) : “Je l’aimais, je l’aime, je l’aimerai toujours.” (p 24). Et en effet, la narration se fait au présent mais s’échappe vers le passé et se projette dans l’avenir : “oui, c’est ça, dans quinze ans” ( p 143) – alors que le texte est censé être écrit en 2004-2005. La pirouette est d’une astuce visionnaire!
Citations :
-“J’étais décidée à baisser la tête et remercier. Et paf, les ours blancs ! ” (p 114)
-“(…) je ne peux plus vivre comme avant dans
une
interprétation personnelle
de la réalité.” (p 84)