
Barbara Kingsolver, Les yeux dans les arbres
1999, Editions France Loisirs, 672 p, titre original : The Poisonwood Bible.
Congo belge (Zaïre), Kilanga, 1959, Nathan Price, pasteur baptiste américain tente d’évangéliser des ouailles réticentes ou réfractaires, compatissantes ou hostiles. Son fanatisme est démesuré et inaltérable. IL ne voit pas la faillite de son entreprise ni la déroute dans laquelle il entraine son épouse et ses quatre filles, qui sont loin de voir s’accomplir leurs espoirs de femmes occidentales.
La confrontation des deux cultures et des mentalités est parfois risible, souvent terrible mais aussi poétique, en tous cas humaine. Le drame est d’autant plus désastreux pour la femme et les jeunes filles que les différences culturelles et économiques sont cruelles : “Cette nuit marque l’obscur centre de mon existence, le moment où la croissance s’est arrêtée et où la longue descente vers la mort a commencé” ( p 395).
La religion n’est d’aucun secours face aux conditions de vie, elle est le poison, a contrario. L’obstination fatale du père forcera sa famille, ou du moins ce qu’il en reste, à revenir sur ses pas.
C’est un roman polyphonique où les chapitres articulent le point de vue des cinq personnages. Les yeux sont dans les arbres et les regardent se débattre. Le titre français met l’accent sur le contexte et les gens alors que le titre anglais (The Poisonwood Bible=La Bible empoisonnée) le met sur le fanatisme de la religion. Le “Poisonwood” étant par ailleurs le nom d’un arbre qui comprend des espèces vénéneuses (Irritation, éruptions cutanées), il légitimise la référence aux “yeux dans les arbres” dans le titre français.
Barbara Kingsolver ne se prive pas de dénoncer les jeux de pouvoir des puissances étrangères qui prennent sans donner. Et les “si seulement” s’engrènent : ” Si seulement je n’avais pas quitté les enfants des yeux (…) Si les baptistes n’avaient pas pris sur eux de convertir les congolais (…) Si le monde des blancs n’avait jamais touché au Congo?” ( p 414).
L’image de l’Afrique postcoloniale est ainsi recadrée grâce à une écriture sans fioritures ni clichés, une vision sans œillères ni vaines illusions : “Pauvre Congo, épouse aux pieds nus d’hommes qui lui ont arraché ses bijoux tout en lui promettant le paradis” (p 259).
Les yeux dans les arbres nous enchante par le voyage mais nous fait déchanter par le choc des civilisations.
Ce titre appartient à ma liste « Titres d’ordre végétal » ici (ou voir catégorie “Liste” ).