
Catherine Hermary-Vieille, Le Jardin des Henderson
1988, Folio, 476 p
De toute évidence, le végétal tient une grande place dans ce livre. Tout au long du roman les descriptions des lieux sont riches en senteurs, couleurs, harmonies. Les paysages accompagnent Patrick Henderson au cours de sa vie et le lien qu’il entretient avec la nature est très fort.
Depuis son enfance dans le sud des États-Unis, il n’aura de cesse de retrouver ce qu’il a perdu : “Tout ce que j’aime au monde se trouvait dans cette plantation : les fleurs, mes arbres, l’eau, les bassins couverts de plantes aquatiques, les animaux en liberté (…) j’avais la certitude que j’avais déjà vécu dans ce décor et que j’y vivrais encore. Là était ma place sur cette terre.” (p 20).
Son parcours le conduit jusqu’à Élaine, une riche jeune femme de Virginie avec qui il va pouvoir visiter l’Europe afin de trouver un lieu qui lui ressemble : “De pays en pays, il atteindrait enfin son point d’ancrage pour “se souder à la terre.” (p 216).
Sa femme Élaine est douce, sereine, docile, amoureuse de ce qu’il aime et le suit partout: France, Italie, Tunisie… Elle le laisse décider de leur vie commune où aucune jalousie ne rentrera en ligne de compte. Steph pour l’un et Philippe pour l’autre viendront partager leur recherche du bonheur.
La longue description des milieux cosmopolites d’une bohème aisée peuplés de dandy privilégiés retrace les tribulations du couple et celles de leurs amis. Maggye/Walter/David notamment. Les célébrités se côtoient : Jean Patou, Lanvin, Dali, Cocteau, Anaïs Nin, les Rothschild, etc.
Le monde végétal n’est pas seulement apaisant (p133) il représente l’éternité : “Chaque fleur ressemble à un humain et sera sa mémoire à jamais” ( p 131).
Patrick est comparé à “un lys belladone, beau, fragile, vénéneux, [qu’]il ne faut pas vouloir le cueillir, le blesser, seulement l’aimer en liberté” ( p 132).
L’image de l’homme sacralisée se complète par son aura d’écrivain. Patrick a écrit un livre mais tarde à se mettre au deuxième. Ses doutes et son scepticisme le retiennent : ” l’écriture est une servitude. Chacun parle un langage chiffré, personne n’écoute personne, le verbe est fait pour drainer les masses. Vous n’êtes qu’un porte-voix.” (p 133).
Il rencontre Axel Munthe à la villa San Michele à Capri (voir article dédié ici) où il passe ses vacances (p 161 ). Bien que les deux hommes se ressemblent, rien que par le fait de vouloir vivre isolé sinon reclus, proches de la nature et des animaux (Munthe est un défenseur des cailles sur l’île), Patrick trouve son “jardin, froid, austère, orgueilleux” alors que “le sien serait de bassins et de fontaines, d’orangers, de citronniers, de chat, de paons, de liane et de fleurs, un jardin de vie” ( p 165).
Patrick Henderson “dessin[e] des étoiles dans [s]a tête pour les déposer sur chaque fleur, chaque plante afin de leur donner une âme (p 222).
Déjà spectateur de la crise de 29 à Wall Street, le couple part en Tunisie à l’approche de la seconde guerre mondiale, guerre qui le rattrapera tout de même. Mais soutenu par un peu de chance et mû par une ultime résistance, Patrick pourra retourner auprès d’Élaine qui l’attend dans son jardin paradisiaque, un “écran qu’ [il] désirai[t] depuis toujours” ( p 367), véritable “prolongement”(p 400) de lui-même.
Henri Matisse peint Luxe, Calme et Volupté (1904) en s’inspirant de Baudelaire et du vers de L’Invitation au voyage. C’est bien ce que recherche les Henderson en créant le Jardin, avec une majuscule. C’est ce qu’aurait voulu sa sœur bien aimée Ada, mourante : ” “Emmène-moi au jardin, me demanda-t-elle doucement, je veux voir une dernière fois les arbres en fleurs.” ” (p 237).
Citations :
– p 224 : “L’indolence, la sueur, la gaité, le désespoir, la violence, la tendresse. Le sud.”
– p 258 : “Patrick savait qu’en replongeant dans la nature, dans la terre nourricière, il renaîtrait.”
– p 273 : “c’est un peu le chant final, l’envolée de ce jardin. Un hymne à la vie.”
– p 274 : “Tout ce qu’il aimait, respectait, désirait, était là, sous ses yeux : la beauté, le silence, la mesure, les œuvres des hommes à travers le temps, (…) pour donner un unique bonheur.”
– p 365 : “Toute passion n’est pas forcément amoureuse. Il me semble que l’important est de savoir goûter la douceur de la vie.”
– p 400 : “Le jardin, prolongement végétal de Patrick, (…) faisait l’amour [à Élaine] plus poétiquement qu’un homme, la laissant libre et heureuse.”
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