
Harlan Coben, L’inconnu de la forêt
2020, Belfond, 429 pages, titre original : The Boy from the Woods.
Je remercie les Éditions Belfond et toute l’équipe de Babelio pour l’envoi de ce roman d’Harlan Cohen.
Sous la forme d’une lettre adressée à un proche, comme convenu, je partage le fruit de ma lecture.
Cher ***.
Je sais que tu ne lis pas beaucoup de livres de fiction malgré mes efforts pour te faire aimer la littérature. Le confinement actuel te prive de nombreuses sorties, tu en profiteras peut-être pour t’aérer la tête avec un thriller. C’est pourquoi, celui que je te présente pourrait faire exception à des habitudes qui ont déjà été dérangées. Il te plaira sans doute pour différentes raisons que tu me permettras de préciser.
Tout d’abord, tu pourras trouver le titre “L’inconnu de la forêt” énigmatique et accrocheur, ainsi que sa couverture qui attire le regard par un effet miroir. «La beauté est dans les yeux de celui qui la regarde» a dit Oscar Wild. Dans la pénombre de la nuit, Wilde (n’est-ce pas amusant, cette homophonie ?) est chez lui. Car Carl Gustav Young (“jeune” en anglais, comme tu le sais) ajoute : «tout ce que nous voyons chez les autres n’est que le reflet de nous-mêmes». Ici, l’effet miroir n’est pas horizontal mais vertical : le noir de la nuit est le revers du jour et la couverture reflète ce que démontre le livre : sous le monde des apparences, il y a celui de l’intimité que l’on cache. Un négatif efficace pour une couverture qui flashe et un thème qui correspond bien à cette période d’incubation qu’est la jeunesse.
J’entends déjà tes objections et je ne te retiendrai pas sur l’extérieur du livre-papier que je feuillète en pensant à toi, car tu pourrais avoir envie de le lire en numérique. Comme je te connais, tu ferais une économie de place et d’argent dont tes jeunes ressources te remercieraient. Je te comprends. Tu as le choix. Quel que soit le support, l’essentiel c’est de lire.
Pour en revenir aux préliminaires, après l’image le texte : le nom de l’auteur est écrit en très gros et la quatrième de couverture est élogieuse. L’auteur est renommé et on s’attend à un nouveau succès.
« De quoi parle ce livre enfin ? » commences-tu déjà à t’impatienter? Patience, il t’en faudra pour connaître le fin mot de l’histoire. Harlan Coben décrit dans ce livre le tristement actuel problème du harcèlement scolaire. Il place le sujet au cœur d’un lycée, au milieu des adolescents. Tu comprends pourquoi j’ai encore pensé à toi, qui n’est pas si éloigné de ce microcosme. La victime est une fille qui ne correspond pas aux critères de popularité dictés par le milieu : elle n’est pas maigre, pas riche, pas extravertie. Un autre effet miroir négatif la définit donc comme : grosse, pauvre et intravertie. Un cas social vraiment ! Et par un effet boule de neige, elle passe de victime à coupable d’attirer l’injustice qu’elle subit : “Naomi, elle, semblait se tasser sur elle-même, comme si elle avait peur qu’on la frappe et, du coup, on avait envie de la frapper” (p 119). Sans y avoir été confronté personnellement, je sais que tu as été sensible à ce problème. Ainsi tu partageras peut-être les inquiétudes de Matthew.
Tu l’ignores certainement mais Harlan Coben est un écrivain américain. Il situe principalement le décor de ses histoires aux États-Unis. Dans L’inconnu de la forêt, cela se passe à Manhattan et à New jersey où l’auteur est né et où il vit encore (mais oui, tous les écrivains célèbres ne sont pas morts !). Tu retrouveras ce qui caractérise l’Amérique que tu connais bien – à regarder si souvent de l’autre côté de l’Atlantique – à savoir les tartines au beurre de cacahuète et à la confiture, les Dunkin’ Donuts (je t’entends dire miam), les 7-Eleven, etc. Mais aussi l’univers des marques vestimentaires (Fjallraven Kanken) et automobiles (Escalade, Honda Odyssey, Chevrolet Cruze, etc.), un univers glamour et sportif aussi avec les nombreuses références au football, baseball (dont il se sert pour une explication (p 331)), basket (auquel il joue lui-même avec talent) et tu entreras dans cet univers fortement masculin des Yankee et des Red Sox, par exemple. La musique de Bruce Springsteen et de Bon Jovi t’accompagnera et je ne serais pas étonnée que tu réalises la petite danse rituelle du succès (p 233).
“Roi des romans policiers” comme les critiques le décrivent, l’écrivain a aussi réalisé de nombreuses adaptations de ses romans, et des mini-séries. Il est évident que ce nouvel opus est traité avec une dimension cinématographique comme si une future adaptation était déjà prévue. Tu apprécieras la qualité visuelle des scènes, la description des combats au geste près, les tactiques d’encerclement et les attitudes de soldat, comme si tu te trouvais dans un des jeux vidéo auxquels tu joues. Les dialogues abondent. Parfois sans dimension narrative, ils assurent un effet de vécu et d’authenticité. Ils préfigurent déjà un scenario futur. Tu ne resteras pas sans relever les références à Gatsby (p 292) et à Carrie (p 287). Te rappelles-tu “Ne le dis à personne”, le thriller qui l’a révélé internationalement que nous avons vu ensemble ? Eh bien, c’était une adaptation de son roman “Tell No One”.
Après un début au rythme un peu lent pour situer le décor, l’intrique mêle plusieurs histoires qui semblent avoir plus ou moins de liens. Le suspense se met en place avec la disparition de Naomi puis celle de son harceleur ou petit copain présumé qui aboutira ensuite à un chantage. Le piège remontera dans le passé. Le mystère ne se résoudra qu’à la toute fin, bien sûr, pour te garder accroché.
En effet, parallèlement aux deux disparitions, le personnage de Rusty Eggers, sénateur des États-Unis vise la présidence et gagne du terrain au fil des mois. Malgré les rumeurs puis les accusations contre le dictateur en devenir (l’allusion à Hitler est très claire), celui-ci trouve toujours les moyens de falsifier la vérité et de conserver son électorat. Il se pourrait que ce coup de griffe à la politique américaine prévisualise des élections présidentielles prochaines, en cette année 2020, date de sortie du livre. Comme il est dit « le système est défaillant, mais c’est le système ». L’écrivain semble donc dénoncer un état de fait préjudiciable. Cependant, il n’engage pas pour autant à faire sa loi à titre personnel car si le thème de la prévention de la criminalité (cf. Minority Report) est sous-jacent, il n’en reste pas moins illégal et contraire à l’éthique.
Je sais que tous ces thèmes sociologiques suscitent ton intérêt avec ceux de la sécurité à l’école, les fusillades, les abus sexuels sur mineurs, le problème du consentement, le phénomène MeToo et l’anarchie que provoquent les fake news.
Et si je dis que ces thèmes « te parlent », je veux dire que tu te sentiras à l’aise avec un langage branché, jeune, simple, rapide, familier où tu reconnaitras les expressions que tu utilises telles que « genre », « du coup », « raconter des salades », « sérieux », « super cool » et les nouveaux termes issus de l’informatique (en anglais bien sûr) comme « hater », « bots », « pinguer », le vocabulaire des smartphone, des applis (Snapchat, Whatsapp, etc.) et les sigles FAI, VPN. Il contraste avec le langage plus soutenu (démodé ?) d’Hester Crimstein, avocate de 70 ans (« partager sa couche », le « prince-fesses », « pamoison ») qui fait dire à Wilde qu’il a « l’impression de vivre en 1963 » (p 217). Est-ce pour se moquer un peu plus que H. Coben fait parler la grand-mère comme Yoda (Starwars, bien sûr) en inversant les mots dans la phrase ? (p 316). Quant à l’auteur lui-même, il ne se prive pas d’intervenir discrètement et par petites touches à l’occasion : « merci beaucoup » (p 85), « dieu soit loué » (p 90), « dieu sait quoi encore ». Des réflexions qui relèvent soit de l’humour – un atout incontournable pour te séduire – ou du conseil : « la mémoire est fallacieuse parce qu’elle persiste à vouloir boucher les trous. » (p 71), « Que l’homme soit bon ou mauvais… » (p 95). L’écrivain semble s’adresser au lecteur : « L’être humain a confié ce qu’il a de plus intime à ces gadgets, en échange de…on ne sait trop quoi. Une certaine commodité (…) » (p 114), puis (p 130) « appelez ça comme vous voudrez ». Des conseils dont tu pourrais tirer bénéfice, sans vouloir paraître aussi ringarde qu’Hester !
Enfin, j’ai remarqué que le thème des bois et de la forêt est récurrent chez cet auteur. On le retrouve dans plusieurs de ses romans. Contrairement à beaucoup de gens, la forêt représente pour le héros la maison, l’enfance (quelle qu’elle ait été) et un resourcement : Wilde court vers la forêt (p 107-8, 164, 167, 234, 358) lorsqu’il étouffe dans la ville. C’est un lieu que nous affectionnons tous les deux également car si « dans la forêt, nombreux sont les dangers » celui qui connait son chemin sait comment en revenir.
C’est pourquoi j’ai pensé que tu pourrais t’identifier à Wilde, ce héros auquel le titre fait référence : un homme jeune, athlétique et séducteur, libre d’attaches sentimentales, voire de famille, qui choisira pourtant l’amour à la connaissance éventuelle de ses origines (les résultats de sa recherche généalogique).
Je m’aperçois que ma lettre commence à s’allonger. mais je me voyais mal te dire tout ça par sms ou par téléphone. L’éloignement ne doit pas appauvrir le lien qui nous attache l’un à l’autre . Je pourrais donc prolonger cette conversation avec plaisir mais je vais conclure.
Le passé de l’inconnu restera inconnu et son nom, une énigme. On l’a nommé « Wilde » en relation au mot « sauvage » et au mythe de l’enfant perdu, Tarzan ou Mowgli. Des histoires qui bercent l’enfance de beaucoup de jeunes et dont certains continuent à croire que leurs parents ne sont pas les vrais. N’y vois aucune allusion personnelle, je sais que ce n’est pas ton cas.
Quoi qu’il en soit, tu pourras habiter l’âme de ce héros emblématique qui résout les énigmes et sauve le monde comme chaque ado rêve de faire. En justicier moderne, il permet à la vérité éclater, tout en sachant que tôt ou tard la justice rattrapera les « failles » du système.
L’inconnu de la forêt laisse présager un prochain volet d’aventures.
Affaire à suivre donc, si tu le décides.
Anne.
Ps : je ne noterai pas ce livre (avec des lettres ou des étoiles). Mon degré d’appréciation n’influencera pas le tien et mon analyse te laissera seul juge.
Ce livre fait partie de ma liste “Titres d’ordre végétal” ici