
Beatrice Sparks, L’herbe bleue
1972, Presse pocket, 214 p, titre original : Go Ask Alice
Le journal intime d’une jeune droguée de 15 ans, publié d’abord anonymement a été attribué à Beatrice Sparks qui a reconnu ensuite en être l’autrice. Le livre regroupe le journal intime de l’une de ses patientes et s’inspire des événements qu’elle a rencontrés dans son travail avec des adolescents en difficulté.
Le titre français L’herbe bleue provient d’un flash-back/cauchemar/rêve hallucinatoire que la jeune fille a fait. Elle décrit son trouble soudain et la vision d’une statue qui prend vie sous l’excitation sexuelle et emporte l’une des filles dans “les hautes herbes bleues” (p 128). A contrario, l’herbe verte est le signe d’une résurrection (p 139-40).
En revanche, le titre original du livre, Go Ask Alice fait immédiatement penser à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll et à la fillette que la curiosité entraine vers l’inconnu. Si cela finit bien pour la petite Alice de l’histoire, ce n’est pas le cas pour la jeune américaine au prénom analogue.
Il s’avère que le titre fait directement référence à la chanson White Rabbit (le lapin blanc) du groupe Jefferson Airplane, parue en 1967 sur l’album Surrealistic Pillow. L’histoire de Béatrice Sparks se situe ici dans les années 1970. Les paroles de la chanson – bien qu’énigmatiques, ce qui leur a valu de ne pas être censurées – abordent le thème du LSD.
Comparer la pilule qui fait grandir et rétrécir Alice qui veut passer la porte, à celle de la drogue, apparaît comme une leçon à donner à des gens qui font miroiter l’illusion du conte de fée alors que la curiosité conduit bien plus souvent à de mauvaises surprises dans la réalité.
“Rien qu’une pilule et tu grandis, rien qu’une, et te voilà petit
Celles que te donne ta mère n’ont aucun effet
Va, demande à Alice, lorsqu’elle mesure dix pieds de haut…”
Un trip est un voyage, qu’il soit imaginaire, initiatique, réel ou destructeur. La jeune anonyme de quinze ans, mal dans sa peau, est invitée à une soirée où on lui fera prendre à son insu du LSD. C’est le début de la fin.
Tout commence par une difficulté à communiquer, à trouver les mots justes (p 31). Après avoir trouvé le premier voyage “super” (p 64) et d’avoir reproduit le système en branchant “d’autres petits mômes sur la drogue” (p 70) le problème se pose : prendre la fuite / sa liberté. Mais l’argent manque et le monde se referme. Si la “normalité” la désespère, la vie sous l’emprise de la drogue la force à laisser “quelqu’un d’autre penser et agir pour [elle] ” ( p116). Ce n’est plus la liberté rêvée mais une prison où assis “sur notre cul”, sous tutelle, “la main tendue”, le “moi intérieur (…) s’est ratatiné et détérioré” (p 117).
Alice a pourtant de l’amour pour ses parents, ses frères, pour la vie. C’est pour elle qu’elle n’en a pas, ou plus, ou pas encore : “Je ne comprends pas comment ils peuvent encore m’aimer” ( p 118). Car les parents l’aiment en effet et font tout ce qu’ils peuvent (avec des erreurs bien sûr) pour l’aider dans la mesure de ce qu’ils savent. La communication est toujours aussi difficile.
La première chose est de rentrer chez soi sans renoncer “à [son] identité”(p 120). Pourtant elle ne lui reconnaît aucune valeur, à son identité si sacrée : “c’est une autre personne qui a écrit mon journal, un être dégénéré, mauvais, puant, qui m’a pris ma vie”. Elle parle de mensonge, de cauchemar, de “ces saloperies” auxquelles elle décide de renoncer à jamais.
Elle se trouve “une raison de vivre”: aider les gens comme elle, et déclare qu’elle est heureuse (p 121). C’est la fin du premier cahier qui marque la fin de l’expérience désastreuse. Selon l’intention de la jeune fille, le deuxième cahier sera celui de l’avenir et de sa nouvelle vie.
Elle comprend que son frère Tim arrive à “combler le fossé des générations entre [leurs] parents et [eux]” et regrette de leur avoir fait tant “d’inquiétude et d’angoisse” : “Merde, quelle idiote j’ai pu être !” (p 125). Elle découvre alors des choses qui sont “(…) mille fois, un million, un milliard de fois mieux que la drogue” et qui la rendent “plus sûre (…), plus forte”( p 127).
Mais la peur revient et les confidences au journal continuent d’être son seul recours (p 129). Elle lui parle au jour le jour dans un style oral et familier, comme à un camarade.
Puis la tentation ainsi que le regard des autres la mettent au supplice (p 133). Changer de “catégories” ( p 134) n’est pas évident et le harcèlement commence : incitations, ragots, menaces… Les clans semblent indéfectibles et elle ne manquera pas de retomber dans un piège. Celui-ci l’amènera à l’hôpital puis à l’asile d’aliénés.
Ses parents sont toujours présents et son petit ami Joël la soutient. Confiante, elle décide d’arrêter son journal. L’épilogue tombe alors comme un couperet et on ne sait pas si c’est une overdose prise de façon consciente (faiblesse, renoncement ?) ou à son insu (comme la toute première fois) qui boucle le cycle infernal. Et de toutes les peurs qu’elle a eues, on peut se demander laquelle l’a tuée, si ce n’est celle de ne pas avoir été acceptée comme elle était.
Citations:
– p 136 :”Je croyais être la seule à éprouver des sentiments, mais je ne suis qu’une infime partie d’une humanité souffrante. C’est heureux que la plupart des gens saignent à l’intérieur de leur cœur, sans quoi cette terre serait vraiment terriblement sanglante.”
– p 143 “Pourquoi me harcèlent-ils comme ça? Est-ce que mon existence les effraie ?”
Ce livre fait partie de ma liste “Titres d’ordre végétal” ici et du quiz ici