
Marguerite Duras, Ecrire
Folio 1993, 53 sur 123 p
L’esprit et l’écrit de Marguerite Duras part dans de nombreuses directions et son style si particulier enchaine sans enchaînements la politique, la maison, les amants…avant de revenir sur le thème : écrire.Elle s’en amuse : “Certains écrivains(…) ont peur d’écrire (…) je n’ai jamais eu cette peur là. J’ai fait des livres incompréhensibles et ils ont été lus” (p 36). Ses détracteurs souriront d’aise !
Et elle n’apporte pas de définition, malgré ses tentatives, si ce n’est par un détournement de la question : “Je peux dire ce que je veux, je ne trouverai jamais pourquoi on écrit et comment on n’écrit pas” (p 18). C’est cependant, en tournant autour de la question qu’elle met au jour des fragments d’explications : “Pourquoi on écrit” implique une raison inconnue, une motivation objective. “Comment on n’écrit pas” indique sa nécessité à écrire, son incapacité à ne pas le faire puisque le “je” ne trouvera pas ces réponses.
En effet, on trouve de nombreux indices.
Ce qui revient d’abord, c’est son unique besoin et plaisir, écrire dans la solitude de la maison de Neauphle-le-Château comme avec un compagnon qui ne l’abandonnerait jamais : “Ecrire, c’était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l’enchantait. Je l’ai fait. l’écriture ne m’a jamais quittée” (p 15).
Elle écrit sur la maison, qui lui sert à écrire, qui lui sert aussi à se cacher – ce dont elle a l’habitude -, mais surtout à “faire” sa solitude et non à la subir.
Boire quand “Un livre est difficile à mener, vers le lecteur, dans la direction de sa lecture. Si je n’avais pas écrit je serai devenue une incurable à l’alcool. c’est un état pratique d’être perdu sans sans plus pouvoir écrire…c’est là qu’on boit. Du moment qu’on est perdu et qu’on n’a donc rien à écrire, à perdre, on écrit” ( p22). La perte, le besoin et la nécessité s’enchevêtrent chez Duras.
C’est ainsi qu’elle écrit un long passage sur la mort d’une mouche.
Puis, elle revient sur la solitude : “Et quand je lisais les critiques,(…) j’étais sensible au fait qu’on y disait que ça ne ressemblait à rien. C’est à dire que ça rejoignait la solitude initiale de l’auteur” (p 25).
Cette solitude s’accompagne inévitablement du silence. Un silence qui permet d’écouter comme de ressentir : “Ecrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit”(p 28).
Et le silence qui revient encore : ” Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. (…) sans silence (…) sans véritable auteur” (p 34), avec la vie : “Je ne sais pas ce que c’est un livre. Personne ne le sait. Mais on sait quand il y en a un. Et quand il n’y a rien, on le sait comme on sait qu’on est, pas encore mort.” (p 34).
Le combat s’engage : “Ca rend sauvage l’écriture”, une sauvagerie qu’elle compare à celle des forêts ( p 24). “Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit”(p 24), alors qu’une évidence s’impose : “Cette illusion qu’on a – et qui est juste – d’être le seul à avoir écrit ce qu’on a écrit, que ce soit nu ou merveilleux” (p25).
C’est cette rencontre de deux “moi” qu’il ne faut pas manquer : “L’écriture c’est l’inconnu. avant d’écrire on ne sait rien de ce qu’on va écrire. et en toute lucidité./ C’est l’inconnu de soi (…) une autre personne qui apparaît et qui avance, (…) et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie” (p 52).
Les indices invoqués sont donc : la solitude, le silence, une nécessité incontournable, une force sauvage, une question de vie : “L’écrit ça arrive comme le vent (…) et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie” (p53).
Mais il y a aussi, très présents dans le texte, la maison et le parc. L’un comme l’autre lui offre cette solitude (qu’elle partage à l’occasion) et le silence d’un lieu où elle est libre d’écrire.
Elle avoue qu’elle a acheté la maison pour le parc (p 27) dans lequel elle n’est jamais seule (p 13) : les oiseaux , les enfants, un monde vit au dehors. Alors, Marguerite Duras s’asseye dans la maison, seule, et elle regarde dehors. “Mes livres sortent de cette maison” (p 17) déclare-t-elle avant d’ajouter : “De cette lumière réverbérée par l’étang”. Elle écrit dans “la grande pièce centrale du rez-de-chaussée, pour être moins seule, peut-être, je ne sais plus, et aussi pour voir le parc” ( p 31). C’est assez important pour qu’elle répète : “Ce qui compte dans cette maison de Neauphle-le-Château ce sont les fenêtres sur le parc et la route de paris devant la maison. Celle par où passent les femmes de mes livres” ( p 46). La réalité et l’écrit sont étroitement mêlés dans ce lieu.


