
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, en BD.
Bernard Capo, Bulle Berry éditions, 2019.
Rappelons les grandes lignes du roman d’Alain-Fournier:
Augustin Meaulnes, lors d’une fugue, découvre un lieu enchanteur où doivent être célébrées les noces de Frantz et de Valentine.Meaulnes y rencontre la sœur de Frantz, Yvonne dont il tombe amoureux mais qu’il perd de vue au cours des festivités. La fiancée de Frantz ne vient pas, le mariage n’a pas lieu et les membres de la fête se dispersent. Revenu au village, Meaulnes commence à rechercher le domaine, espérant ainsi retrouver Yvonne. C’est à partir de là que les choses se compliquent.
Le mystère de ce lieu que Meaulnes n’arrive pas à situer, la surprise de cette invitation, la joie du garçon qui fait l’école buissonnière, et la forêt qui cachent le domaine aux yeux des passants, tout concoure à créer une atmosphère poétique où la rencontre devient magique mais fugitive.
En septembre 2020, après la visite du village et de la maison-école d’Alain-Fournier (voir l’article sur anne.vacquant.free.fr/av/), j’ai fait un petit tour, comme à l’accoutumée, à la boutique cadeaux où j’ai acheté l’album du Grand Meaulnes en Bande Dessinée. C’était la première fois que je lisais un roman publié en BD et j’ai eu envie de comparer les deux.
Mais comment y arriver?
Il faut dire tout d’abord que les chemins réels et les chemins transformés sont nettement indiqués dans le dossier en fin d’album (p 58-59).

Ensuite, mettons face à face les lieux réels qui ont inspiré la prose d’Alain-Fournier et les images créées par Bernard Capo :








Après l’extérieur, l’intérieur, la grande classe dirigée par le père :



Les pièces d’habitation sont attenantes aux classes. En haut de l’escalier, la chambre d’Henri Alban Fournier et les greniers.






On retrouve le décor, ses couleurs, les objets fidèlement retranscrits dans le roman et dans la BD.



On pourrait avancer que François ressemble à Alain-Fournier et qu’Yvonne a un petit air d’Isabelle… à qui le roman est dédié.
Le texte est plus court bien entendu – ayant à cohabiter avec l’image sur la page. La BD insiste sur les passages déterminants de l’histoire en renforçant, à mon sens, le côté mystérieux et intrépide du héros par une approche scénaristique à suspens.
Les bandeaux s’organisent chronologiquement en rectangle ou carrés principalement. La narration occupe la place supérieure du cartouche et les bulles sont de forme classique. La police de caractère différencie les deux. Le parler respecte le vocabulaire et la syntaxe de l’époque. Le style est réaliste, le trait est élégant, les couleurs bleutées ou sépia ainsi que l’agencement, simple (horizontal, peu de superpositions), offrent une clarté à l’œuvre, sans fioritures ni fantaisie originales. Tout est fait pour replonger le/la lecteur/lectrice dans la première moitié du siècle dernier.
L’insertion des lettres (p 34-35-36) ajoute à l’impression d’authenticité de l’ouvrage et rompt un peu le rythme du récit.
Je citerai Florence Cestac (autrice, dessinatrice, éditrice et marraine de l’opération BD 2020 organisé en partenariat avec le Centre National du Livre (C.N.L); (Propos recueillis par Nicolas Zwirn lecteurs.com; voir l’intégralité à “Conseils de lecture – actualité du livre” ici) :
“L’art de la bande dessinée a été extrêmement créatif ces dernières années comme aucun autre et ce qui se passe en France concernant la production d’albums de qualité est unique au monde. Ça mettra un terme à l’idée d’un « art mineur » et servira à mettre en valeur les différents auteurs. La bande dessinée ne fait plus peur et n’est plus réservée qu’aux enfants et adolescents. C’est un art qui semble facile mais qui demande beaucoup de temps et d’investissement personnel , au même titre qu’un écrivain, à faire découvrir à un plus large public.”
En effet, cet album est luxueux, soigné et montre tout le travail effectué : fidélité aux lieux, au texte et à “l’esprit de l’enfance” selon les termes d’Agathe Rivière Corré dans son prologue. De plus, elle reconnait qu’après bien des hésitations, la BD adaptée du roman ne “galvaude” (p 2) pas l’œuvre d’origine”.
Cependant s’écarter du public des enfants et élever le prix des albums (celui-ci a coûté 18 euros, le même prix qu’un roman broché) revient peut-être à s’éloigner de cet esprit d’origine. F. Cestac parle de “Peut être revenir à des publications plus modestes et moins chères pour ne pas se couper du très jeune public”.
Et en effet, je me demande si un “enfant” / un adolescent choisirait de lire cette BD à la place du roman original. Trop luxueuse, elle pourrait ne s’adresser qu’à un public adulte.
Alain-Fournier étant décédé, le dialogue avec l’auteur n’a pas eu lieu dans ce cas précis. Mais il arrive que ce soit possible. F. Cestac avoue que “Chaque rencontre avec un scénariste est une aventure différente . Il faut tout d’abord que le sujet nous tienne à cœur et que chacun reste bien dans son domaine sans empiéter sur l’autre.(…)
Quelle est la limite de chaque domaine? Puisqu’il s’agit de s’imprégner des talents des uns et des autres, la tâche paraît difficile. A. Rivière Corre soulève un doute par exemple, quant à laisser “de côté tout le charme et la puissance de l’écriture romanesque” (p2).
Alors lorsqu’elle dit que “le paysage, le pays est un personnage à part entière, qui participe à l’atmosphère unique de ce roman”(p2), j’ai regardé attentivement ce qu’en avait fait B. Capo :




J’ai retrouvé les frimas et les brumes, les vallons arborés et fleuris. J’ai apprécié le rendu des paysages.
Il n’en reste pas moins qu’il relève de la gageure que de transcrire 226 pages de texte (en Poche) en 56 pages illustrées. Il faut donc se défaire totalement de son esprit de lecteur/lectrice de roman pour rechercher une vision différente de l’œuvre.
L’album se termine par un dossier biographique (en BD) sur l’auteur dont le livre est qualifié par Pierre Péju de “lieu de mémoire”.
Livre-lieu, lieux réels et fictifs, Le grand Meaulnes nous entraine vers un lieu que notre imaginaire peut recréer à sa façon.