
Mohammed Aïssaoui, Les Funambules
Gallimard, NRF, 2020, 215 p
Livre reçu dans le cadre de La Communauté Culturelle Leclerc.
“Biographe pour anonymes” : qu’est-ce que cela veut dire ?Il ne s’agit pas (uniquement) d’être un prête-plume pour des gens qui ont de l’argent mais pas le temps ou le talent d’écrire. Mohammed Aïssaoui prête l’oreille à tous ceux qui ont besoin des mots pour exister.
Ce roman est d’abord une quête du passé à travers la chimère d’un amour perdu, d’un ancien quartier, des souvenirs de sa vie d’avant, de son pays d’origine, sur lui et sur sa mère (ces derniers en italiques, pour bien les différencier). C’est ensuite une recherche de soi dont l’auteur est d’autant plus conscient qu’en se mettant à la disposition des anonymes, il rencontre les précaires, les démunis et les « cabossés » des Restos du Cœur. Il reçoit les témoignages des aidés et des aidants comme une leçon de vie.
Le narrateur a appris que les « funambules » de la vie ont tous une « fêlure » qu’il convient de laisser s’exprimer, sans forcer, sans juger. Il découvre que les bénévoles ont eux aussi leurs doutes et leurs failles, que leur immense envie d’ « être utile » peut être inefficace voire destructrice pour eux comme pour ceux qu’ils doivent « accompagner »; qu’il faut s’abstenir de croire que l’on peut tout réparer.
Si un biographe pour anonymes peut vouloir dire : un « bénévole accompagnant », si la vocation est déterminé par un prénom donné par la mère : « Kateb, ça veut dire écrire » (p 215), le livre de Mohammed est aussi celui de Monique qu’ils « f[on]t ensemble »(p 73).
L’écriture de M. Aïssaoui n’est pas violente ni revendicatrice (comme peut l’être par exemple celle d’Hector Mathis dans Carnaval, lu très récemment par hasard et dont quelques ressemblances font écho ici) mais son style sobre réussit à ébranler les préjugés, d’une manière pudique. La présence des poètes et philosophes tels que Rousseau, Camus, Supervielle, Aragon, Breton (Nadia/Nadja) participent à l’équanimité qui se dégage du roman face à l’iniquité de la vie.
Citations :
– p 20: “Je tremble au bout d’un fil, si nul ne pense à moi, je cesse d’exister” Jules Supervielle.
– p 42 : “Ce qu’on ne se dit pas n’est-il pas aussi important que les mots échangés ?”
– p 73 “(…) vous êtes au cœur de ces récits qui racontent le fil ténu de la vie où l’on peut basculer d’un côté comme de l’autre”.
– p 150 : “”Une somme d’échecs nourrit le succès.” J’aimerais y croire”.