
Hector Mathis, Carnaval
Buchet-Chastel, 2020, 214 p
Livre reçu dans le cadre de l’opération « Masse Critique » de Babelio
Le titre pourrait tromper : il ne s’agit pas d’une fête, il s’agit d’une mascarade : “le carnaval des passions tristes” (p 191).Avec un humour décapant, sans tabous ni complexes, sans compromis ni retenue, sans détours ni façons l’auteur déploie son monologue, un long cri de rébellion où “tout-y-passe”. Mais c’est sans vulgarité que ce texte difficile touche juste, dérange et frappe.
Le récit dépeint une amitié entre copains, ses saouleries, ses bagarres, le parcours de jeunes à la dérive, à la recherche d’une liberté, d’une raison de vivre. J’ai retrouvé des thèmes qui m’ont fait penser à L’attrape-cœurs de J. D. Salinger, en plus argumenté, en plus touchant.
Cette jeunesse qui s’abîme et se gâche, “se sabote” elle-même (p 164) car elle n’a “plus une seule goutte de rêve” (p 190). La “grisâtre” est un monstre qui engloutit la banlieue, la violence quotidienne, la maladie…c’est le rien, le vide, la mort à petit feu mais finalement assez rapide car elle ne donne pas plus d’une vingtaine d’années à vivre. La lucidité n’aide pas, au contraire.
Hector Mathis réalise cette “autopsie d’un vertige” (p 80) avec un style délibérément oral (“z’ont l’angoisse” (p 10); “l’adore ça ” (p 14), etc.), un langage populaire, argotique et quelques gros mots authentiques.
Cependant, la poésie – sombre – ne manque pas, ni les images qui ne cessent de “parchoquer” (p 54) le XXIe siècle. Les phrases courtes défilent rapidement, parfois scandées comme du rap, le peu de paragraphes et les quelques chapitres s’enchaînent comme dans un seul et même souffle.
L’intention est bien de “dynamiter [] le céfranc” (p 55) car s’il préfère la langue française (“de la dentelle pour Cro-Magnon” (p 31)) à “l’anglish spoken” (p 31), il refuse les “mots plats, sans couleurs”. Il veut créer “son grand remplacement” (p 57) et le revendique : “la littérature est à nous” et “les pages nous appartiennent”, pour essayer “de saisir l’invisible mouvement qui traverse le monde”(p 139).
J’ai envie de dire que ce roman “coup de poing” vous laissera K.O. alors que je n’ai lu que le deuxième roman d’Hector Mathis.
Citations :
– p 45 : “J’ ai des fragments plein les poches qu’il faut que j’articule en monument. Fouiller les vagues intuitions. En extraire tout le précis. Que personne s’était formulé avant.”
– p 127 : “Un ancien monde amusant où les mots s’échinent encore à faire du sens”.