
Tonino Benacquista, Le serrurier volant
(illustré par Tardi), Gallimard 2006, 146 p + suppl. sur les auteurs
Marc, 35 ans, est un homme ordinaire qui habite la banlieue sud (Vitry) et se satisfait de sa vie sans démesure. Il manque de curiosité pour se lever le matin. Il favorise les équations simples, les calculs de fin de journée et rejette toute forme d’exaltation, quitte à vivre une mort lente et à être considéré comme un « tiède ». Bref, c’est un antihéros par choix.
Suite à l’extraordinaire de l’ordinaire, il va se retrouver dans « le travail qui lui ressemblait le moins » et qu’il réussira pourtant à transformer en routine jusqu’à ce que l’exceptionnel de la vie le rattrape encore et cette fois-ci, le fracasse. Il s’ensuit une sidération psychique, une aphasie, une distanciation du réel qui l’amèneront à faire une tentative de suicide. La détresse et la colère provoquées par le stress post-traumatique le détacheront de toute forme d’affection. Il est submergé par le « syndrome du survivant ».
Cependant cette période de quasi-démence lui fait rejeter également la hiérarchie et ses ordres. Il refuse de rester « un rouage de la grande machine » (p 42) et provoque donc un changement radical dans sa vie d’après. Il trouve au métier de serrurier l’avantage d’être invisible. Il circule la nuit et la bizarrerie des demandes et des situations lui font côtoyer l’absurde. Il s’y cache et s’y sent mieux. Il « vole » au secours des gens qui l’appellent (d’où le titre, sans doute) sans se poser trop de questions mais sans accepter de malversations non plus. Il peut ainsi « se venger » puis « pardonner » pour se remettre à vie normalement en acceptant ce que la vie peut lui offrir en cadeau.
Ce 16è « carnet littéraire » de la collection du même nom, illustré par Tardi (Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Nestor Burma) est la conjonction de deux auteurs qui « à quelques heures d’intervalle, […] se choisissaient mutuellement » (note de l’éditeur). Les artistes optèrent pour la couleur sépia qui « exprimait la tristesse et la mélancolie en même temps qu’une intensité dramatique ». La sobriété du texte est rehaussée.
En définitive le livre correspond à ce que déclare le frère de Robert Mitchum cité par Benacquista : « on ne va quand même pas se laisser emmerder par un fait réel pour raconter une bonne histoire. », qui ajoute pour sa part : « On ne se l’est pas fait dire deux fois ».
Et c’est, en effet, toute l’histoire du Serrurier volant.
