
Madeleine Chapsal, Une saison de feuilles
1988, Le livre de poche, 317 p.
Ce roman traite des sujets sensibles que sont la vie, la mort et la maladie.Hedwina est atteinte à 52 ans de la maladie d’Alzheimer, fauchée en pleine carrière de star. Le personnage est touchant : « Hedwina est redevenue un être tout à fait innocent, […] la mort de l’innocence […] est intolérable » (p 219) et on a envie de croire à celui de Violaine. Mais la dévotion de sa fille n’est pas aussi bien étayée, au début. Bien que l’intimité des deux femmes ait été posée dès le départ, la perte du fiancé de la fille a été balayée un peu vite, par exemple. Cependant, viennent quelques sursauts du « besoin millénaire de l’espèce » qui rendent plus crédible l’attitude de la jeune fille et ce, bien que le style et le langage, à ce moment-là, surprennent par un contraste brutal : « la vieille…crèverait jamais » (p 188).
D’un autre côté, le personnage de Justin est rongé de culpabilité : il a débranché sa femme dans le coma. Le débat pourrait s’ouvrir entre les deux camps : acharnement thérapeutique et euthanasie, si les deux personnes mises en scène s’opposaient. Ce qu’elles ne font pas. Au contraire.
Le déroulé de la maladie est décrit sans artifice et sans complaisance : la dégradation lente et humiliante d’un retour à la petite enfance, d’avant même le langage, d’animalité primaire, d’une dépendance entière est une espèce de re-naissance pour la mère, une paix, une sérénité qui désapprend, à l’inverse de l’informatique (métier de Violaine) qui apprend et forme son intelligence au contact du langage et de la mémoire pour un commencement et la construction d’un avenir.
D’un côté, il y a une description très sensible de la puissance de la vie : « quelle jouissance d’être vivant, […] et c’est cela qui est parfois impardonnable [ ] survivre à ceux que nous aimons est impardonnable » ; et de l’autre une lucidité implacable devant le vampirisme de la mort : « sa mère la halait vers elle, comme pour la dévorer » (p 237), pour « l’entraîner avec elle… Mais où ? Au cœur de son néant ? À l’intérieur de sa propre chair ? La faire basculer en sa compagnie dans la mort ? Consciente qu’elle allait mourir, ne voulant pas mourir sans elle ?/ ne voulant pas mourir, quoi ! » (p 295).
Enfin, cette maladie méconnue d’Alzheimer, comme toutes les maladies qui touchent le cerveau (autisme, traumatisme, etc.), encore associée plus ou moins à la folie (p 257) confronte ceux qui restent à la douleur, une douleur qui leur faut traverser (p 287) au lieu de l’éviter, la partager aussi peut-être, mais avant tout accepter car « aimer vivre, c’est prendre la douleur comme elle vient, quand elle vient » (p 289). Le roman touche au problème non moins délicat de la résilience.
1988 : l’informatique est à ses balbutiements pour le grand public et il est amusant de voir les réactions de chacun : c’est une perte de temps pour le (jeune) Firminy qui se montre plus rétrograde – car il a toujours été un nanti – que son (vieux) père, ouvert à toute technique pouvant améliorer son commerce et pour qui cela devient un jeu ; c’est une perte « de vie » devant un écran inhumain pour Marilou. Etc.
Quelques réflexions ou jugements font parfois sentir la présence de l’auteur derrière les mots qui ne sont pas ceux des personnages. Et s’ils le sont – comme un aparté intérieur (p 254 : « heureusement que ses cheveux étaient lavés, ce jour ! » comme pourrait le dire une fille soucieuse de son apparence), l’adjectif possessif utilisé « ses » aurait peut-être été mieux perçu s’il avait remplacé par « mes » ?
Le titre d’ Une saison de feuilles est extrait du roman (p 279) : il rappelle que ce qui a été vécu se trouve dans le passé comme pour la nature qui après chaque hiver se régénère et fait éclore de nouvelles feuilles, à chaque printemps.
Citations additionnelles :
– p 158: « l’élégance , qui est une attitude intérieure, ennoblit les vêtements les plus simples tout comme ceux des grands couturiers que certaines femmes, manquant d’âme, réussissent le tour de force de vulgariser »,
– p 181 : « dès qu’on fait quelque chose, c’est une bêtise ; mais ne rien faire aussi est une bêtise »,
Ce livre fait partie de ma liste “Titres d’ordre végétal” ici