
Albert Camus, La peste
Folio 1947, 279 p
J’ai relu La Peste, en cette période où le coronavirus sévit dans le monde. Je l’avais lu lorsque j’étais plus jeune, parce que c’était Camus et que j’étudiais la littérature. Mais ce n’était pas le bon moment. Aujourd’hui, le moment donne toute sa place à cette œuvre.
L’écho entre l’épidémie confinant la ville d’Oran vers 1940 et la pandémie actuelle est d’autant plus clair que les ressemblances sont frappantes. C’est pourquoi ce livre a été remis à l’honneur et que je me suis moi-même penchée sur sa relecture.
On y retrouve l’incertitude et le sentiment d’impuissance, l’immobilité liée au confinement, le manque de liberté et l’ennui ; le danger proche qui engendre la peur, la peur de l’autre, du corps, la répulsion et le désir pourtant d’un rapprochement dans la douleur, la frustration.
Les comportements changent.
Il y a l’inconscience ou la panique, le repli sur soi ou la folie, la résignation.
Certains défauts sont exacerbés : l’hypocrisie, la dissimulation, la délation, la corruption, le trafic, le désir de jouissance immédiate, l’égoïsme, l’oubli.
Les inégalités ressortent au lieu d’être effacées.
Le retour à la foi ou à des valeurs humanitaires fait surgir en revanche des qualités comme l’empathie, la serviabilité, l’investissement, l’engagement, la ténacité, le don de soi, la discipline, la dignité, etc.
Chaque étape de ce que nous vivons en ce moment se trouve dans le livre. Qu’il s’agisse de la peste ou du covid 19, le fléau est identique sur le plan humain, psychologique, social et économique : « pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus » ( P 41). Les réactions du gouvernement et des particuliers sont les mêmes : « si l’épidémie ne s’arrêtait pas d’elle-même, elle ne serait pas vaincue par les mesures que l’administration avait imaginées » (p 61).
L’auteur fait intervenir un narrateur d’abord anonyme qu’il nomme enfin, C’est le « moi » qui se dévoile incidemment page 115. C’est Bernard Rieux (p 273) auquel il rend hommage, comme à tous les médecins (p 279), et comme nous rendons hommage aujourd’hui à tous les soignants pour leur courage et leur force mentale. Il ne le décrit pas en héros (p 130, 150, 151) ni en saint mais comme un homme, un saint sans Dieu, en quelque sorte (p 230).
Sur le plan littéraire, il justifie son choix comme étant celui de l’objectivité (p 166). En effet, la langue est simple et le style sans effusions mélodramatiques. Il rapporte des faits.
La conclusion – elle est en demi-teinte – est qu’ « il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser (p 179) mais « que ce long temps d’exil » (p 67) montre bien que « personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux » (p 42).
Le monde est en sursis car « le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi […], qu’il attend patiemment […] et que, peut-être, le jour viendrait où […] la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse » (p 179).
Et ce sont les mots de la fin du livre.
Aujourd’hui la peste s’appelle Covid.
Mais ce qu’il faut retenir en plus, c’est ce que le personnage de Tarrou énonce et ce que je résume avec ses mots : « refuser d’être avec le fléau…du moins…être un meurtrier innocent… [se] mettre du côté des victimes, pour limiter les dégâts…chercher comment on arrive à la troisième catégorie, c’est-à-dire à la paix [troisième catégorie qu’il vient de définir comme celle des « vrais médecins »]…[et le ] chemin qu’il fallait prendre pour arriver à la paix [ :] la sympathie (p 229).
Quelques citations supplémentaires:
Impatients de leur présent, ennemis de leur passé et privé d’avenir, nous ressemblions bien ainsi à ceux que la justice ou la haine humaines font vivre derrière les barreaux (P 72).
Cette heure du soir, qui pour les croyants est celle de l’examen de conscience, cette heure est dure pour le prisonnier ou l’exilé qui n’ont à examiner que du vide (P 168).
Alors que la peste, par l’impartialité efficace qu’elle apportait dans son ministère, aurait dû renforcer l’égalité chez nos concitoyens, par le jeu normal des égoïsmes, au contraire, elle rendait plus aigu dans le cœur des hommes le sentiment de l’injustice (p 214)
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