
Steve Hely, Comment je suis devenu un écrivain célèbre
Sonatine Éditions, 2011, 370 p
Voici donc un titre alléchant pour tout amateur de littérature qui désire connaître les coulisses de l’exploit, et éventuellement pour les apprentis écrivains qui recherchent la recette miracle.
L’auteur se présente sans concessions comme un jeune homme (environ trente ans) qui veut écrire un livre sans se fatiguer, avec des buts avoués : l’argent rapide, le sexe facile et la gloire qui lui permettra de prendre sa revanche sur son ex-petite amie qui va se marier…pas avec lui ! Son job initial étant de refaire des lettres de candidatures d’étudiants médiocres ou de non locuteurs, son habilité lui laisse présager sa réussite.
Il nous propose donc un itinéraire en deux parties. La première au cours de laquelle ses prédictions se réalisent, et la deuxième où elles périclitent. Le tout balisé d’extraits et de morceaux choisis dans sa prose et celles d’écrivains qu’il dénigre, à titre de témoignages comparatifs. Très rigoureux, son récit s’illustre aussi par des listes dressées avec attention répertoriant les goûts récurrents des lecteurs de fiction de masse, qu’il érige ensuite en règles, à savoir : ne pas dire la vérité, la qualité est contraire à la popularité, il ne faut pas se prendre la tête, c’est un divertissement, ne pas mêler d’éléments autobiographiques, inclure au moins un meurtre, etc. Il nous propose ensuite (p 75) un résumé de son projet fourre-tout et indigeste.
Pour lui, il s’agirait d’actualiser des petits classiques, de remettre au goût du jour des histoires oubliées et de faire du neuf avec du vieux (p 64), comme remixer une musique qui fonctionne, qui plaît déjà et qui garantit le succès. Sachant que le lectorat cible est essentiellement féminin, il conviendrait d’ajouter des femmes timides mais fortes et splendides, de petits secrets et « une tristesse indéfinissable » pour simuler de la profondeur et de la compassion. Puis viennent d’autres considérations plus aléatoires mais tout aussi recommandées (lyrisme ; voiture ; nourriture ; boulot médiocre ; villes pleines de lecteurs ; reflet du lecteur en mieux ; musique ; voyages exotiques ; noms de plantes et encore : la guerre, la mort, la bouffe, le sexe, les bonnes affaires, les enquêtes, et Noël !).
Le personnage de Pete Tarslaw monte donc une arnaque éditoriale (p 107) en fabriquant un livre type Best-seller avec des procédés types, et en se forgeant une image d’écrivain type avec des sentences types, travaillant dans des lieux types… Puis, son amie Lucy étant assistante éditoriale, il attend qu’elle fasse le boulot.
L’auteur, Steve Hely nous offre un cas d’école traité avec un cynisme décapant et un humour désopilant. Rien ne lui échappe. Méthodiquement, il démontre le snobisme délirant de certains professionnels (notamment dans le cinéma), la langue de bois et les foutaises semi-pertinentes d’un milieu qui traque moins « la pépite littéraire » que le succès financier en faisant « jouer les chiffres » (p 160). Il révèle comment les critiques, les mauvaises comme les bonnes (p 175 à 177) ainsi que le hasard et les publicités improbables font le classement et la notoriété d’une œuvre.
Le roman est écrit à la première personne, comme un témoignage authentique. Il accuse une certaine littérature d’être une imposture, un crime ? (p 272). En montrant « tout ce qui n’allait pas dans la fiction contemporaine » (p 254), il appuie sur les questions qui fâchent. Mais si un héros est un homme qui se révèle (p 213), le personnage avoue – et c’est la phrase conclusive du roman – qu’il « aurai[t] aimé avoir écrit un aussi bon livre » (celui de Bill Lattimore), (p 370).
En définitive, c’est un hommage (inversé car il faut prendre le contre-pied de ce qu’il écrit) à la vraie littérature, produit par « un trublion post-moderne », une sorte de « farceur » qui convie les éditeurs à publier son brûlot au titre de l’autodérision.
Citation : « si vous croyez que je suis un vieux monsieur stupide qui croit encore en des absurdités comme la vérité, l’amour, la beauté, l’honneur, la fierté, la tristesse et la joie, eh bien vous avez fichtrement raison. » (p 352).
“(…) après une cinquantaine d’ouvrages construits sur la même recette il n’y avait pas réellement de mystère sur la teneur du suivant. Sauf la mort, « MHC » aurait ainsi pu continuer longtemps sans enjeu, autre que de proposer une expérience lecture dont on connaît déjà l’issue, et que l’on se procure dans ce but. Ma théorie c’est qu’elle préfigure, à ce titre, une forme de littérature androïde.” écrit Mathilde Serrel dans “Art et Création, La théorie” sur France Culture (voir ici le billet en entier).
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