
Ecrit : “La petite robe noire de Noël”
Nouvelle publiée sur Shortédition.
Noël approche à grands pas. Louise entonne le refrain : Ho, Ho, Ho fait le Père Noël à la télé, gentil bonhomme joufflu au sourire accrocheur. Tout le monde s’aime à Noël.
La petite robe noire de Guerlain crisse all over Louise. Paco Rabanne lui promet toujours des millions mais cette année, il ne déshabille pas son égérie en un claquement de doigts: pourquoi mettre une petite robe pour ça, quelle que soit la couleur ? Ces grandes marques ne font plus rêver Louise.
La petite robe de Louise est noire aussi, elle est veuve. Elle l’a rangée dans le placard et elle n’en sortira que si la porte d’entrée s’ouvre sur ses invités.
Dans la cuisine, Louise s’essuie les mains sur son tablier puis éteint la télé en passant à côté. Les clochettes et les tintinnabulements l’agacent, à vrai dire. Dommage pour Rudolph, elle aime bien les animaux. Elle voudrait bien l’inviter, elle lui garderait des carottes et du pain rassis.
Les problèmes de transports ne lui ramèneront peut-être pas ses enfants. Pourvu qu’ils ne s’éternisent pas.
Louise regarde les gamins jouer dans la cour de l’immeuble. Comment se peut-il que d’autres enfants naissent après les siens ? La vie ne s’arrête pas pour tout le monde. Louise sort les cartons remplis de guirlandes et de boules multicolores. Elle trie celles qui sont cassées. Elle achètera un sapin, plus petit cette année, qui trônera au milieu du salon, comme avant. La neige ne tombera sans doute pas. Réchauffement climatique, expliquent-ils aux informations de 20 heures.
Louise ne se souvient pas du dernier Noël blanc qu’elle a passé. Ici ou ailleurs, seule ou pas. Par l’autre fenêtre, elle voit les gens qui s’affairent dehors. Les rues sont pleines de consommateurs pressés. Les cadeaux s’amoncellent mais il en manque toujours un. Vite, dépêchons ! Tout doit être parfait.
Le clochard avec son carton déplié et graisseux sous le bras cherche une bouche de métro, une porte cochère ou l’abri d’un pont. La concurrence est rude pour le couchage et la pitance : il y a des collectes dans les hypermarchés, des timbales rouges devant les grands magasins mais les passants n’en peuvent plus de sortir la main de leur poche. Le cœur y est pourtant, c’est pour lui tout ça, lui dit-on.
Louise rallume la télé pour ne pas rater la romance de Noël qui va commencer : comment s’appelle-t-elle déjà ? “Un fiancé pour Noël” ou “Le miracle de Noël” ? Elle ne sait plus, elle a oublié. Peu importe, l’histoire finit bien. C’est Noël.
Ensuite, elle ira au centre commercial respirer les odeurs du dehors, les parfums des gens bien habillés et les effluves qui s’exhalent des magasins de cosmétiques. La magie de Noël opérera et elle se sentira belle, comme eux.
Soudain, un chariot la bouscule et ne s’excuse pas. Elle sort brutalement de son rêve, elle gêne, elle ne voit pas que les gens ont autre chose à faire ? Leur caddie déborde de victuailles. Louise tire son cabas à roulette de ménagère. Elle ne l’a pas rempli. Les enfants viendront-ils ? Il faut acheter saumon fumé, dinde farcie et truffes au chocolat. Mais s’ils ne viennent pas ? Elle en aura une crise de foie.
La musique semble se répéter, Louise est restée trop longtemps au supermarché. Ca tourne en boucle. Elle s’en va.
La petite robe noire pend dans le placard, elle est défraîchie. Tout le monde aime Noël, pourtant.