
Margaret Atwood, Les Testaments
Robert Laffont, Pavillons, 538 p.
Margaret Atwood reprend quinze ans après l’histoire de La Servante écarlate, après la fin de la saison quatre de la série télévisée, qui n’est pas annoncée comme étant la dernière.
À part Tante Lydia, personnage déjà connu, les autres personnages sont absents : June revient rapidement à la fin, vieillie, on évoque Nick et Luke, sans plus. Il n’y a aucune nouvelle de Serena et son mari qui sont supposés répondre de leurs actes. La suite du roman alterne entre un personnage ancien et deux nouvelles protagonistes, les deux filles de June qui ont grandi, l’une à Galaad et l’autre au Canada.
Tante Lydia : il s’agit de son témoignage qui, à l’instar de celui de June sera retrouvé après la chute du système qu’elle a elle-même miné de l’intérieur et fait exploser. Confessions donc et rédemption ? Étudiées comme archives, comme à la fin du premier livre (pour le côté historique), elles offrent les péripéties d’une guerre de pouvoir à tous les niveaux et dans chaque « sphère ». Bruce Miller précise que The Handmaid’s Tale ne se terminera pas sur une saison judiciaire, qui fera le procès des criminels de Gilead (Galaad) : « Il y aurait des histoires fascinantes à raconter sur 20 ans, notamment une sorte de procès de Nuremberg pour Fred, Serena et les autres, la libération des camps et tout le reste ». Dans Les Testaments les prémices sont racontées, mais pas les procès ni la libération.
Agnès/Tante Victoria : son récit raconte avec plus de détails la perversité, la cruauté et la crudité (le pénis, p280) des mariages forcés, des suicides pour en échapper, des meurtres pour se débarrasser une épouse (encombrante ou infertile ou trop vieille, etc.), des viols sur mineures et utilisation de drogues pour arriver à ses fins, etc., l’éducation ou l’endoctrinement des fillettes, la soumission des unes, la bêtise des autres et la rébellion d’un petit nombre. Tante Victoria (Victoire) est née et vit à Galaad puisque sa mère ne l’a pas encore retrouvée.
Daisy/Jade/Nicole : elle vit au Canada puisque sa mère a réussi à la faire sortir bébé et rejoint la résistance, malgré une certaine passivité du pays au titre de la neutralité. L’auteur appuie sur une dégradation de la société canadienne (agressions, viols, SDF, etc.) et montre une certaine ambivalence entre féminisme et traditionalisme, au profit de valeurs féminines exemptes de puritanisme, mais aussi de certains excès (amour (trop ?) libre, avoir un enfant sans père par insémination, par exemple, et c’est peut-être ce que les féministes ont reproché à M. Atwood ?).
Bruce Miller déclare : « Quand nous aurons fini l’histoire de June, alors je pense que la série sera terminée !” De quoi renforcer l’idée que June sera bien vivante et de retour dans la suite ». Dans le livre, June est sortie de Galaad, mais continue à agir. Miller ajoute : « Mais je ne pense pas que je suivrais June aussi longtemps. Je ne pense pas que June ait le courage de se battre aussi longtemps, alors je pense que son histoire se terminera avant que tout cela ne se produise ». Dans le livre, June réussit à réunir ses deux filles à la fin.
Le style de Les testaments est plus « rôdé », celui de La Servante écarlate était plus âpre, presque râpeux, en tout cas décapant. La suite avait été demandée, mais était-elle absolument nécessaire ? Elle développe ce que l’on savait ou imaginait déjà. Il est vrai que l’on avait envie que ça se termine (bien), car seule la fin restait inconnue : fin positive et optimiste ou fin négative et pessimiste ?
D’un autre côté, est-ce que cette dystopie devait vraiment avoir une fin ? L’imaginer ne suffisait-il pas ? Ou ne rien imaginer, d’ailleurs, était peut-être aussi bien, dans le sens où donner une fin faisait entrer l’histoire dans l’Histoire. Avions-nous besoin de ça ? (et c’est peut-être un second grief des féministes envers M. Atwood ?).
En fait et pour ma part, je trouve que cela réduit la portée du livre.
Bruce Miller (écrivain et producteur de télévision américain) a voulu que la série soit « une œuvre complémentaire au roman, comme du matériel bonus, pour quand vous lisez le livre… ». Et en effet, la série a largement dépassé les faits racontés par La Servante et Les Testaments se calent dessus sans reprendre les développements. Sans redites, la suite invente une fin avant que la série ne le fasse à sa place ? M. Atwood a-t-elle participé activement à l’adaptation ?
PS: Pour cette édition 2019, Gilead a été modifié en Galaad. je rappelle donc que Galaad (Galahad, ou Galaaç) est le fils du chevalier Lancelot du Lac et d’Ellan, fille du roi Pellès, le roi pêcheur, qui détient le Graal. De plus, il y a eu aussi un navire de débarquement appelé Sir Galahad qui a fait naufrage le 12 juin 1982 aux Malouines. Il est sans doute autorisé d’y voir un symbole?
NB: L’auteure déclare que les faits doivent être avérés et c’est vrai que rien n’a été purement imaginé, seul l’assemblage est fictif : lieu, date, culture.
En Espagne, il était d’usage d’accrocher le nom de son mari avec la particule d’appartenance “de” à son nom de naissance par exemple Berta Isla de Nevinson. Ici les servantes s’appellent par le prénom du commandant précédé de la particule: Defred (de-fred : elle appartient à Fred).
En France, la femme perd son nom de naissance, car l’usage (et non la loi) lui impose celui de son mari.
De plus, eu égard au Code civil de 1804, mariées, veuves ou célibataires, les femmes étaient mineures juridiquement au même titre que les criminels et les handicapés mentaux et tombaient sous l’autorité d’un membre masculin de la famille, quel que soit son âge. Le Code prévoyait aussi que « la femme doit obéissance à son mari » et que le « devoir conjugal » est une obligation, le viol n’existe pas dans le mariage. La punition pour adultère variait : il se calculait en amende pour l’homme et conduisait à la séquestration dans une maison de correction pour la femme. La femme avait obligation de vivre au lieu fixé par son mari et ses biens personnels (ou sa dot) devenaient la propriété exclusive de son époux qui en disposait à sa convenance jusqu’en 1938. La mixité à l’école ne s’est généralisée qu’à partir des années 1960 et le droit de passer le bac unique a été prononcé en 1924. La femme mariée doit obtenir l’autorisation de son époux pour travailler jusqu’à la loi de 1965. Il faudra attendre 1972 pour que la reconnaissance du principe « à travail égal, salaire égal » s’amorce sans toutefois aboutir dans les faits jusqu’en 2019. La femme devient enfin « maîtresse » ou « propriétaire » de son propre corps en 1967 avec la Loi Neuwirth qui autorise la contraception et en 1975 avec la loi Veil qui prévoit l’Interruption volontaire de grossesse sans être considérée comme criminelle, comme c’était le cas en 1920. Citoyenne à part entière en 1944, elle n’obtiendra l’autorité parentale conjointe qu’en 1970. Et le plus drôle, c’est que la loi interdisant « le travestissement des femmes » avec des vêtements d’homme n’a été abrogée qu’en 2013 !
Je rappelle aussi les agissements des talibans en Afghanistan…