
Simone de Beauvoir, L’invitée
Folio, 503 p
Le roman se situe avant guerre et décrit dès le début, une atmosphère de salle d’attente. Il est édité en 1943. La tension est perceptible chez les jeunes gens qui s’évertuent à vivre et à se distraire: bar, dancing, visites, rencontres, plaisirs parisiens et vie nocturne. Elle dégénère pourtant – à l’image des sentiments – jusqu’au tragique dans une gradation de fin du monde. L’ennui s’installe dans l’attente de se battre, la vie perd de sa consistance, elle s’englue avant de sombrer dans un tombeau. La métaphore file l’histoire des personnages. Car le sujet n’est pas la guerre qui approche mais la relation triangulaire entre Françoise, la narratrice, Pierre, son amant et Xavière, “l’invitée”.
En effet, le roman “tourne autour” du trio avec une rare sensibilité de sentiments et de finesse dans le jugement.
La femme qui s’intercale dans un couple dont l’amour est mûr et abouti, est l’expression d’une volonté d’une liberté que prônent les deux antagonistes principaux mais que le troisième partenaire ne comprend pas. l’exclusivité et la jalousie, la domination et la conquête, la confrontation et le pouvoir s’inter-changent au sein du trio. Au lieu de créer une nouvelle expérience grâce à une nouvelle conscience, les rôles restent figés: l’homme prend, la femme “officielle” subit et l’amante dérange !
Xavière représente l’envie, et le drame.
Elle est inconsciente, capricieuse, manipulatrice. éthérée, légère et pesante pour les autres qui l’entourent. Elle est vénéneuse.
Le jeu de l’amour et du hasard, avec ses inquiétudes, ses haines, ses tracas, ses mensonges et ses combines déplace les deux femmes face à l’homme qui reste maître de la situation: l’une est une passion fugace, l’autre un amour solide et compréhensif. C’est le jeu de Marthe et Marie (p 483).
La disparité dans la liberté est flagrante. Les amours libres ne le sont pas au même degré pour chacun et la profondeur des sentiments ne s’autorise pas la même légèreté ou insouciance pour tous.
La guerre finit par arriver. Pierre part. Gerbert aussi. Ce quatrième personnage a pris une dimension alternative. Les deux femmes le “partage”. Est-il l’expression de la liberté féminine face à celle de Pierre? Il ne joue cependant qu’un second rôle très fade et flou.
La dernière nuit et l’extinction des lumières est le reflet de l’étrangeté et de l’inertie à regarder” mourir la paix”. La complexité d’avant, se résume à un vide après; au souvenir de l’enfant, naïf, ingénu, petit, absurde, “gratuit” devant la fatalité.
Le roman est raconté du point de vue de Françoise et de son intériorité. Cette femme cherche sa place, se reproche d’être trop “pure” intellectuellement et donc pas assez captivante pour l’homme qu’elle aime et devant le danger que représente “l’invitée”. La détresse l’envahit progressivement. Elle refuse d’être “mauvaise”, même face à celle dont elle dit qu’elle n’a pas “une belle âme”. Sa conscience ne le supporte pas, la culpabilité la ronge devant les responsabilités qu’elle s’impose. Finalement, c’est elle qui fait durer la relation toxique. Et puis, à la fin, elle secoue toute culpabilité. Elle décide de “se choisir” (p 503, derniers mots du roman) et de passer de l’état de victime, plus ou moins consentante, à bourreau…et à criminelle!
Parmi le récit écrit à la troisième personne, on trouve quelques “première personne du singulier” : des “mon” ( p 500) et “ma” (p 501) qui claquent comme une gifle. On dirait un lapsus, une phrase qui échappe à la rigueur de l’écrivaine? Inévitablement, on pense à la vie de la compagne de Sartre qui ne faisait pas mystère de son émancipation. A tord ou à raison?