
Ecrit : “Générique et grammaire”
Nouvelle publiée sur Shortédition.
Clément rentre de l’école et dit :
— Papa, aujourd’hui j’ai travaillé sur les préhistoriens.
— Tu veux dire « les Hommes Préhistoriques » peut-être?
Clément regarde son père et réplique :
— Non, je veux dire qu’il y avait des mamans et des bébés, des enfants comme moi, pas seulement des papas.
— Clément, écoute-moi, voilà : « les Hommes » est le nom générique pour la race humaine. C’est pareil quand on parle de « La déclaration des droits de l’homme » ou du « pays des droits de l’homme »…
— Qu’est-ce que ça veut dire « générique » ? demande le garçonnet.
— Qu’il n’y a pas de marque de genre, c’est neutre, tu comprends ? répond le papa. On aurait pu dire « des droits des humains » ou « des personnes »…
— Et pourquoi on ne l’a pas dit ? rétorque sa sœur, Anne, arrivée peu après à la maison.
— Eh bien, on va dire que c’était pour les opposer aux animaux, aux plantes et aux minéraux.
— Ça je comprends, mais tout de même, on ne voit qu’eux, finalement ! C’est comme dans la cour, à l’école, ils prennent toute la place avec leurs jeux et leurs bagarres. Nous, on doit rester assises pour ne pas se faire pousser et crier dessus. Les maîtresses nous disent de rester sages.
Clément proteste :
— D’accord, mais c’est qui, la première de la classe ? c’est toi !
— Oui, enfin, bon… Ma copine par exemple a deux ans de plus que son frère et elle était plus grande que lui. Ses parents lui on dit « profites-en avant que la balance s’inverse ». Elle n’a pas compris jusqu’à ce que son « petit » frère prenne dix centimètres d’un coup. Et maintenant, on lui dit qu’il est le futur chef de la famille !
À ce moment, le papa interrompt le dialogue qui risquait de dégénérer en dispute. Mais le soir, après le coucher des enfants, il raconte à sa femme ce qu’il s’est passé.
Elle lui répond :
— Tu sais, un jour un étudiant étranger m’a assurée que la langue française était une langue phallocrate — ou misogyne, je ne sais plus s’il faisait une différence entre les deux.
— Phallocrate, ça veut dire…
— Oui, oui, moi je sais, merci. Je continue : sur le coup, mon chauvinisme m’a faire répondre que non et mon esprit raisonneur a trouvé quelques arguments. Je me rappelle lui avoir dit par exemple qu’au contraire de l’anglais le français pratiquait la féminisation des adjectifs et l’accord des participes passés.
— Voilà une preuve que l’on tient compte de la différence des sexes.
— En effet, mais il m’a répondu que c’était pour mieux la supprimer dès lors qu’il y avait un masculin qui faisait un pluriel !
— C’est comme ça qu’on apprend la grammaire aux enfants, à l’école. Le masculin l’emporte sur le féminin…
— Exactement. L’anglais m’a-t-il dit alors, n’utilise qu’un seul pronom personnel « they » pour les uns (masculins), les autres (féminins) et les deux à la fois.
Leur petit garçon sort du couloir à cet instant précis. Il était allé aux toilettes et surtout espionner la conversation de ses parents.
— Même que le maître d’école nous a dit que le féminin était un rajout au masculin, qu’il fallait juste mettre un « e » en plus à la fin, comme dans « un-une » ou « Pascal-Pascale », et que c’est comme ça que l’on utilise le dictionnaire : le masculin est toujours le premier mot.
— C’est parce qu’il est le plus court puisqu’il n’a pas de « e » concilie le papa.
La sœur de Clément, Anne, arrive dans le salon, attirée par le bruit.
— Mais c’est compliqué aussi. Il faut regarder la terminaison du mot pour connaître le genre. Un jardin, pas de « e » donc masculin mais une pelouse, un « e » donc féminin. Et c’est pas toujours vrai !
— Je suis d’accord avec toi. La langue française est assez complexe. Il n’y a pas de neutre comme en anglais, un « it » pour les choses en général.
— Mais papa, tu as dit que le générique était le masculin ?! et puis le prénom de mon copain Dominique finit par un « e ». Alors ?
— Alors je ne sais pas moi, riposte le père. Allez hop, allez vous coucher, les enfants.
Anne et Clément repartent en ronchonnant. La mère les accompagne.
— Je vais vous raconter une histoire. Vous connaissez le Dahu ?
— Euh… — C’est un animal qui vit en milieu rural et fait partie de la faune montagnarde et forestière. Des récits de tradition orale fournissent une description de cet animal et du rituel « initiatique » de sa chasse organisée dans des villages français et suisses.
Les enfants l’écoutent en se demandant où elle veut en venir.
— Le Dahu a deux pattes plus courtes que les deux autres.
— C’est un kangourou !
— Non ! la différence n’est pas entre les pattes de devant et celles de derrière mais entre celles de gauche et celles de droite.
— Ben, c’est pas possible, tu inventes, maman !
— Écoutez : le Dahu ne vit que sur des pentes. Il a adapté sa morphologie à son environnement pour faciliter ses déplacements à flanc de montagne, c’est tout.
— Mais ça l’oblige à se déplacer toujours dans la même direction et sur un même côté, sans pouvoir faire demi-tour !
— Oui, en effet, mais il y a deux espèces de l’animal : le Dahu qui possède des pattes gauches plus courtes et celui qui a les pattes plus courtes du côté droit. L’un vit sur le versant droit et l’autre vit sur le versant gauche de la vallée.
— Ça veut dire qu’ils ne se rencontrent jamais ?
— Toute rencontre en face à face est pour le moins hasardeuse. Les Dahus « gauches » et « droits » sont des animaux évolués mais de proches qu’ils étaient au départ, ils sont devenus éloignés à l’arrivée et sur le long terme.
— Ben, c’est triste ton histoire, maman !
— Non, enfin, un peu. Mais il faut prendre la survie du Dahu très à cœur. C’est une recherche sur le sens de la vie.
— Euh, à droite ou à gauche de la montagne ?
— Au sens philosophique, Clément !
Et Anne s’écrie :
— Vive le Dahu ! Partons à la recherche de cet « animaloïde » !
— C’est quoi, un animaloïde ?
La maman explique :
— C’est l’opposé d’androïde qui signifie : aux caractéristiques voisines de l’homme, ça vient du grec ancien « andros ». Mais là, il y a un générique : c’est humanoïde.