
Guise : Fourier, Godin et le familistère
Le familistère de Guise, situé dans la commune de Guise, dans le département de l’Aisne est l’oeuvre de l’industriel Jean-Baptiste André Godin, inspirée par Charles Fourier.Les bâtiments sont très bien conservés et restauré en tant qu’ils sont représentatifs de l’histoire économique et sociale des XIXe et XXe siècles. Ils abritent aujourd’hui différentes activités culturelles.
Étymologiquement, c’est un « établissement où plusieurs familles ou individus vivent ensemble dans une sorte de communauté et trouvent dans des magasins coopératifs ce qui leur est nécessaire ».
Issu de la Phalange, le phalanstère (du grec phalanx, « formation militaire rectangulaire » et stereos, « solide ») est un regroupement organique des éléments considérés nécessaires à la vie harmonieuse d’une communauté. Le concept est développé dans les milieux intellectuels du XIXe siècle, et en particulier par Charles Fourier,
Charles Fourier (est un philosophe français, fondateur de l’École sociétaire. Sa quête étant celle d’une harmonie universelle, il critique radicalement la société de son temps, la société industrielle qu’il qualifie d’anarchie industrielle, et celle de la société commerçante.
Il avance plusieurs idées très innovantes en faveur des femmes (création de crèches par exemple) soutenues par une analyse précurseur. Il écrit : “Les progrès sociaux s’opèrent en raison des progrès des femmes vers la liberté et les décadences d’ordre social en raison du décroissement de la liberté des femmes”.
Sa vision des relations entre vie domestique et organisation du travail, entre hommes et femmes, entre individu et société préfigurent le socialisme et le féminisme français.
La visite:
Le familistère se présente comme un ensemble de bâtiments en briques rouge typique du nord. Les façades (relief, joints blanc ou pas, disposition, frontons, etc.) sont élégantes tout en restant simples.
Le bâtiment central est constitué de deux ailes qui rappellent un peu Versailles et sa cour d’honneur. Derrière un parc arboré. En face, l’école, la bibliothèque et le théâtre à l’italienne. Sur le côté, les économats, et la buvette. En traversant le pont enjambant l’Oise : la buanderie et la piscine, les jardins d’agrément.
D’autres pavillons ont été ajoutés par la suite pour les nouveaux résidents.
Le pavillon central est composé de trois étages dont les deux coins en diagonal sont occupés par les cabinets d’aisance et les cabinets de balayures (poubelles). Une coursive surplombe la cour fermée (ou patio) lequel est abrité par une verrière. Les fêtes et les cérémonies pouvaient s’y dérouler ainsi par tous les temps. Au dessous, les caves individuelles et la cave collective sont aérés grâce à un système de ventilation naturelle.
A l’intérieur des appartements, le minimum : chambre(s), salle à manger, cuisine et dégagement.
Quelques règles existent : pas de sabots dans les appartements (pour le bruit), pas d’eau (pour l’humidité), pas d’animaux (pour l’hygiène) à part les oiseaux (contre les fuites de gaz), etc. Sinon, pas d’obligation : pas d’obligation de résider dans le familistère même si on travaille à l’usine de l’autre côté de la rue, pas d’obligation de venir aux fêtes, etc. L’argent circule mais les prix à payer est calculé au prorata des salaires. La coopérative apporte des ressources moins chères pour tous.
On a souvent considéré ce type de répartition du travail et des gains comme une sorte de communisme. Ce n’est pas exact ici puisque chacun reste libre de son destin et de sa façon de le gérer.
Ce type d’organisation est appelée communautaire puisque les gens partagent des installations collectives (pouponnière (qui a été détruite pendant la guerre), buanderie, piscine, toilettes et vide-ordures). Cependant, il se différencie des “communautés”, ne mettant pas en commun les femmes (l’amour libre) par exemple, ni une foi unique. Chaque famille était monogame et les enfants étaient légitimes. Il n’y avait pas de religion imposée (le fondateur était catholique mais il n’y avait pas d’église dans l’enceinte, chacun pouvait aller librement à l’église du village).
Mais on a finalement parlé d’utopie puisque cette expérience, aux lignes générales héritées du fouriérisme (du philosophe Fourier) prônait une refonte de la société avec des droits accrus pour les travailleurs (mixité de classes (de l’ingénieur à l’ouvrier), de sexe (dans les écoles, dans les comités, et droit de vote des femmes bien avant 1945 !), l’accès à l’instruction gratuite et obligatoire jusqu’à 14 ans, à l’hygiène, à la santé et aux revenus (les bénéfices étaient redistribués en actions), les appartements loués pouvaient être achetés, etc.
Il faut préciser que le fondateur, J.B Godin, fabriquait et commercialisait les poêles de chauffage en fonte émaillée, très résistants et très calorifères. Ancien ouvrier, il a voulu donner le premier confort nécessaire à la survie du pauvre : la chaleur ! Aidé par sa femme Marie, ils ont réalisé un rêve.
Cette expérience a duré une centaine d’années et s’est éteinte à l’aube du capitalisme de la première moitié du XXème siècle.
Si elle n’a pas révolutionné la vie de tous, elle a pourtant fondé la société sur de nouveaux principes de base (fin d’un servage de type féodal, lois de prévention sanitaire, sécurité sociale, retraites, HLM, etc.).
C’est donc une visite (de plusieurs heures) à ne pas manquer pour les amoureux du patrimoine, de l’histoire, de la sociologie et de la philosophie.
NB: la structure avec sa cour centrale recouverte d’une verrière peut faire penser à une structure d’ordre pénitentiaire, la philosophie du lieu étant par ailleurs assez similaire: “établissement où plusieurs (…) individus vivent ensemble dans une sorte de communauté et trouvent dans des [installations] ce qui leur est nécessaire”. C’est aussi peut-être une raison de la désaffection pour une telle organisation, dans un pays fortement empreint d’individualisme comme la France ?
PS: petit détail, sur place, il faut prononcer « gouise » pour le village mais « guise » pour le duc et son château – château dont il ne reste que la tour centrale, ses caves et ses remparts.