
Oswald Wynd, Une odeur de gingembre
1991, La table ronde, 373 p (Titre original : The Ginger Tree).
Le personnage de Mary Mackenzie est sensible aux odeurs. Déjà, on peut noter page 102 qu’elle relève une “odeur de beurre rance”, puis page 225 “une odeur de friture”.
Le titre est ensuite textuellement repris (ou tiré) de la phrase : “quand on froisse une de ses feuilles entre les doigts, il se dégage une odeur de gingembre”(p 329).
Cet arbre ne “pousse pas bien vite”, “est tout à fait inoffensif”. Mais il “dépare”, il est “venu d’ailleurs” comme une “chose étrangère”. Mary y tient comme à la “perfection savamment entretenue de ce qui l’entoure”. Cet arbre – ou plante- lui correspond donc en tous points. Il devient “[s]on arbre” qui, même maudit, survit (p 329).
En effet, le gingembre est une plante herbacée vivace. De pseudo-troncs annuels poussent à environ un mètre de haut et portent des feuilles étroites et des fleurs. La racine, le rhizome, est utilisé dans la médecine populaire et comme épice.
En anglais le nom est “tree”, soit “arbre”, d’où le titre original du livre : The Ginger Tree. Le titre français n’est pas éloigné en reprenant la thématique végétale et la symbolique de la plante dont l’odeur est si caractéristique.
Le gingembre survit donc malgré les mauvaises intentions de Sato et malgré le cataclysme qui ravage la maison et le jardin: ” Je n’en croyais pas mes yeux, quand j’ai vu ce qui luttait (…) une pousse verte toute nouvelle (…) ces feuilles aromatiques (…) qui m’a laissé sur les doigts cette odeur de gingembre”. L’arbre est robuste, tenace et résistant. Elle le considère comme un “présage” et le place de manière à ce qu’il domine “la colline artificielle” (p 346) et ce, bien qu’elle ait conscience que “[s]on arbre à l’odeur de gingembre (…) reste un étranger obstiné” (p 361). Il est à son image.
La jeune écossaise partie épouser son futur mari basé en Chine, écrit des lettres adressées à sa mère pendant le voyage, puis à ses ami.es expatrié.es. Cette correspondance se transforme ensuite en un journal intime qui la soutient dans les moments difficiles : “je suis cramponnée à cette boite qui contient mon journal”(p 331).
La jeune femme arrive donc en Chine en 1903, après la révolte des Boxers. Ce mouvement s’opposait aux réformes, aux colons étrangers et au pouvoir féodal de la dynastie mandchoue des Qing. Cependant l’impératrice douairière Cixi le retourna contre les seuls colons et fut vaincue par les huit nations étrangères alliées contre la Chine.
La jeune mariée se rend compte petit à petit de l’animosité de la population comme de l’indifférence méprisante de ses compatriotes envers celle-ci. En jeune femme bien élevée de cette époque elle ne se permet tout d’abord que de rares remarques. Aussitôt rabrouée, elle patiente, se contente du peu que son mari toujours absent lui octroie et survit face aux inégalités qu’elle rencontre.
Mary se rapproche du pays et du peuple en Chine puis au Japon, alors que ses compatriotes en reste distinctement éloignés, ne pensant qu’à leur intérêts financiers. Cette différence l’entrainera plus loin que ce qu’elle avait imaginé, son attitude étant loin d’être conforme.
Le ton n’est jamais agressif, jamais revendicateur. Si la jeune femme n’accuse pas, elle met en lumière avec simplicité et beaucoup d’humour les us et coutumes des uns et des autres, les clichés sur les étrangers (p 60- 70-2-5), le non-droit des femmes et les désillusions conjugales (p 69-122-167-185-235-301-8-10, etc.).
A travers les yeux du personnage féminin, le lecteur/la lectrice suit les guerres qui ont façonné le monde en occident comme en orient, l’évolution des droits des femmes, l’industrialisation et le commerce redessinant les frontières et les mentalités… Mary change également au fil des années, des bouleversements et des injustices subies mais comme son arbre à gingembre, elle résiste jusqu’au bout.
Jusqu’au bout, elle restera pour vivre dans le pays de son amant, là où son fils est né, là où elle espère qu’elle le reverra.
En dernier lieu, je tiens à relever un procédé typographique qui m’a surprise : il n’y a pas de point à la fin des phrases. C’est déroutant au début bien que l’on s’y s’habitue, sauf quand la phrase commence par un nom : on confond alors la majuscule de début de phrase (seul repère typographique donc ! ) et l’indication d’un nom en cours d’énonciation. Par conséquent, on bute et on reprend. C’est dommage.
Citations :
– p 235 : ” Je lis beaucoup, tout ce que je peux trouver. J’ai mis la main sur six volumes de l’Encyclopédia Britannica, dixième édition, de KYS à PAY, et je lis sans sauter une ligne, ce qui fait que je serai un jour une des femmes les plus savantes au monde sur tous les sujets entre KYS et PAY.”
– p 301: (…) dans la société américaine les femmes ont acquis le droit d’avoir leur opinion, et que leurs sentiments soient officiellement respectés (…) Les Anglais, comme les Japonais, n’ont pas encore laissé une telle folie leur compliquer la vie.”
Ce livre fait partie de ma liste “Titres d’ordre végétal” ici et du quiz ici