
Samuel Beckett à Ussy-sur-Marne
De passage dans la région, j’ai eu l’occasion de m’arrêter devant sa maison à Ussy-sur-Marne (77) et de bavarder avec la nouvelle propriétaire, ancienne amie de S. Beckett.Tout d’abord, je me permets de rappeler les œuvres les plus célèbres de Samuel Beckett :
En attendant Godot : composée de deux actes, 1952, crée au Théâtre de Babylone à Paris, la pièce a été écrite directement en français pour la première fois par Beckett.
Estragon et Vladimir, deux clochards, parlent sans cesse comme pour combler le vide. L’action se déroule sur une route de campagne, deux jours de suite. Le décor est minimaliste.
Puis, Pozzo et Lucky se présentent comme maître et esclave. L’un sera frappé de cécité et l’autre de mutisme dans l’acte 2. Godot, qui devait arriver la veille reporte à nouveau. Tentative de suicide d’Estragon et de Vladimir. Godot n’arrive pas.
Petite citation: “Nous naissons tous fous. Quelques uns le demeurent”.
Oh les beaux jours est une pièce en deux actes. Écrite en anglais. elle est créée à New York en 1961 . Beckett écrit ensuite la version française en 1963. Elle est créée au cours de l’été à la Biennale de Venise.
C’est une pièce de théâtre déroutante qui présente une femme (Winnie) enterrée jusqu’au torse, puis jusqu’au cou qui trie ses effets personnels dans son sac à main. Une arme représente la mort (qu’elle pourrait se donner?).
Le deuxième personnage (Willie) tente un dialogue (souvenirs) et un mouvement de rapprochement. Mais c’est la fin.
La répétition et le sarcasme dû au titre (où se trouve les beaux jours?) mêle le tragique au comique. Il ne se passe quasiment rien à part les mouvements mécaniques des personnages, sorte de marionnettes débitant des phrases sur la vacuité des choses. Beckett semble nous dire que la vie est une farce.
Le dramaturge rompt avec les préjugés, qu’ils soient d’ordre politique, artistique, de la raison ou de la bienséance. Il est considéré à juste titre comme le maître de l’absurde.
Les ressemblances entre l’auteur et Kafka (autre figure notoire) concernent l’aliénation : les gens sont impuissants, prisonniers dans l’absurdité d’un monde qui devient insaisissable et incompréhensible. Mais Beckett montre leur immobilité dans un espace qui se réduit rongé par le néant alors que Kafka les plonge dans le tourbillon d’un monde tentaculaire et inopérant. Dans le langage et la forme la différence est encore pertinente : Beckett veut faire dire au langage ce que l’on ne peut pas dire, comme l’abstraction et la mise à nu tandis que Kafka est plus combatif envers l’autorité. Beckett avouera qu’il n’a lu que Le château précisément et que, malgré une certaine proximité de vues, il ne s’est pas senti solidaire de l’approche de Kafka par trop convaincue: « Je m’y suis senti chez moi, trop, c’est peut-être cela qui m’a empêché de continuer […] Je me rappelle avoir été gêné par le caractère imperturbable de sa démarche. Je me méfie des désastres qui se laissent déposer comme un bilan. »
Quant à Eugène Ionesco, La cantatrice chauve, l’aliénation passe également par l’effondrement des certitudes. Le langage devient combat, lieu du combat et objet du combat. Superficialité, clichés, redondance, logorrhée, irrationalité, etc., mènent au ridicule d’un monde que l’on veut néanmoins justifier.
La maison que Samuel Beckett a fait construire en 1960 se situe dans le haut du village d’Ussy-sur-Marne. C’est un petit village de Seine et Marne, logé entre Meaux et la Ferté sous Jouarre.
« Je pense que je pourrais vivre ici maintenant toute l’année. Il me semble que je récupère quelque chose dans le silence et la solitude. » disait-il.
C’est en effet ici que pendant presque trente ans l’écrivain, récompensé du Prix Nobel de Littérature en 1969 a vécu et écrivit la majeure partie de son temps, jusqu’à sa mort en 1989,
Il venait s’y ressourcer dans le calme et le silence, et l’entretien de son jardin.
Il y traduisit principalement ses propres œuvres, de l’anglais au français.
L’implantation de la maison lui permet d’avoir vue sur un vaste panorama. Il n’a pas de voisins immédiats et se trouve isolé du centre du village. Ses amis viennent le voir. Le peintre Hayden notamment est proche.

Un parcours de découverte de ce peintre et des peintures inspirées par les paysages autour d’Ussy jalonne la route de panneaux.


Sur la route qui mène à Lizy sur Ourcq, la rue Samuel Beckett mène à la maison. Petite ( elle a été agrandie par la suite par la nouvelle propriétaire dans le même esprit que le corps principal), blanche et entourée d’un mur (en béton) recouvert de lierre. Elle domine la plaine. Elle n’attire pas l’attention et ne démontre aucune propension au tape à l’œil. C’est ce que l’écrivain désirait avant tout. Un grand jardin l’entoure, puis les champs de céréales et les vergers. Lui rappelaient-ils son Irlande natale?
Voici quelques photos prises avec la permission de l’actuelle propriétaire qui fut amie de l’écrivain pendant son séjour à Ussy. Aujourd’hui, l’intérieur de la maison ne se visite pas, aucun objet ayant appartenu à l’écrivain n’est resté sur le site que la nouvelle propriétaire occupe avec sa famille. Celle-ci m’a aimablement laissée entrer (et prendre des photos de l’extérieur) tout en bavardant sur Samuel Beckett.
Il ne reste rien non plus dans son pays (à ma connaissance) – qu’il a quitté – et le Musée des Écrivains que j’ai visité à Dublin ne détient que peu de choses sur lui.
« La maison, plus encore que le paysage, est un état d’âme »
(Gaston Bachelard).
Pour Samuel Beckett, la maison et le paysage sont un état d’âme, celui d’un écrivain qui recherchait la simplicité, l’espace et la liberté, la solitude et la tranquillité. Pour fuir l’agitation et l’absurdité de la vie et pour créer en toute sérénité. C’est à Ussy qu’il a trouvé son havre de paix.








