
Nina Bouraoui, Otages
2020, JC Lattès, lu en numérique, 94 p.
Très court roman issu d’une pièce de théâtre. Un style tranchant au début qui se dilue un peu à la fin. Dommage. Des phrases courtes, comme des évidences, l’énonciation de vérités simples venant d’une femme simple qui finalement s’épanche tout en restant modeste. L’histoire banale d’une femme dont les hommes ont détruit « le fil » (p 34), la dignité, le bonheur, à commencer par l’ami, puis son mari, puis son patron, enfin, les policiers.
Le roman revient sur les circonstances qui ont précédé l’acte (qui restera mal défini) mais retarde le récit de la première blessure, de la première violence, le mal antérieur dont elle ne peut pas parler qui a cassé le fil du cœur et de la confiance, du respect et de la morale.
C’est après le délit qu’elle tirera cette analyse cinglante : « Je sais qu’ils me prenaient pour une folle parce que j’étais une femme. Parce que j’avais mon âge. Parce qu’ils avaient le pouvoir. » (p 62).
Elle est aussitôt jugée selon cette équation : femme + vieille + vulnérable (mais n’ayant plus rien à perdre et donc imprévisible) = folle !
Cette thématique rappelle celle du livre de Victoria Mas (invitée le même jour (le 12/02/2020) à La Grande Librairie sur le thème de la femme – qui aurait pu être le thème des folles).
La femme-personnage de Nina Bouraoui est-elle féministe parce qu’elle « a pris le pouvoir » une fois ? Parce qu’elle accuse Le patronat (à travers Andrieu) d’utiliser la crise pour faire plus de profit sur le dos des ouvrières ? Parce qu’un type instruit qui devient une ordure est plus blâmable qu’un ignare qui devient un salaud (p 37) ? Parce que ce n’est pas le « le package », parce que c’est inadmissible ?
Elle pense que les hommes seront toujours les maîtres parce qu’ils ont un sexe à l’extérieur, pas « ouvert », parce qu’ils n’ont peur de rien (ils ont la force) alors que toutes les femmes partagent « la peur du viol » (p 62).
Sylvie Meyer est une femme sans instruction et sans espoir, qui subit quotidiennement les injustices et a baissé les bras, sauf une fois. Si elle s’est révoltée l’espace d’une nuit, elle rentre pourtant dans le rôle de la « victime-coupable ». Elle se protège ainsi de plus de violence. Mais le lecteur assiste au témoignage de la mort intérieure d’une femme, bafouée dans ce qui la tenait droite : sa féminité, son mariage, son travail.
Un mot sur le titre : Otages. Si la protagoniste du roman prend en otage son patron, ce n’est pas de lui dont il s’agit. Les otages sont au pluriel. L’auteure en donne la raison dans le préambule qu’il convient de rappeler : il s’agit des « otages économiques et amoureux que nous sommes ».