
John Muir, Un été dans la Sierra
1911, (Titre original : My First Summer in the Sierra), Gallimard folio, lu en numérique 233 p.
Ce récit de voyage dans la vallée de Yosemite s’accompagne des incidents de parcours liés à transhumance d’un troupeau de moutons.
Au Départ, 2050 moutons sont conduits par un berger dans les alpages, à l’arrivée 2025 en sont revenus bien portants malgré les attaques d’ours, les orages, les traversées de rivière, etc.
Le journal personnel de John Muir est daté au jour le jour et couvre la période de juin à septembre. Très descriptif avec les noms savants des plantes et de nombreux adjectifs précis ou plus subjectifs («charmant», «merveilleux»), des tournures grammaticales exclamatives, déclamatives et laudatives, il montre l’enthousiasme du fervent randonneur qui s’est joint au groupe.
Car la Nature – qu’il écrit avec une majuscule – est pour lui l’œuvre et la représentation de Dieu. En effet, Dieu est souvent mentionné, interpellé et glorifié. Il ne s’agit pas de religiosité envers une foi consacrée, mais d’un sentiment religieux plus vaste, plus sensoriel et spirituel à la fois.
Les adjectifs « divin », « idyllique », « céleste » et « paradisiaque » sont pléthore, tandis que J. Muir considère les montagnes comme des cathédrales où le chant des arbres s’entend comme leurs sermons (p 170, 217). C’est à ce culte qu’il consacre sa dévotion et ses transports extatiques : « L’endroit m’a paru sacré, un de ces lieux où l’on pourrait espérer voir Dieu » (p 54).
Une personne athée pourrait comprendre son émotion comme un émerveillement devant la poésie qui se dégage des paysages où les animaux, les lacs, les nuages, les plantes, et même les orages participent à la magie des lieux.
Ce n’est pas par anthropomorphisme que le naturaliste trouve les végétaux « charmants », bien qu’il soit enclin à leur accorder le chant, la parole (p 212) et un visage humain (p 220). S’il y a « charme », ce serait celui proche du sortilège que la Nature opère sur lui.
Pourtant le sort n’a rien de funeste, au contraire, puisqu’il lui offre un idéal de vie : « La vie ne semble ni longue ni courte, et nous ne songeons pas plus à gagner du temps ou à nous dépêcher que les arbres et les étoiles. Voilà la véritable liberté, voilà une excellente et pratique sorte d’immortalité » (p 45).
Le langage (et/ou sa traduction) est moderne et familier (« bredouille », « s’emberlificoter », « toutou », «brimborion», etc.), avec un phrasé fluide. L’humour et les images illustrent le récit. Par exemple, les moutons sont qualifiés de « sauterelles laineuses », de « ballots de laine », de « sauterelles en sabots », etc. Au vu de sa récente expérience, il ne leur accorde que peu d’intelligence : « nigauds de moutons », « fuyards imbéciles », « grands bêtas de moutons, poussiéreux et ébouriffés »…
Mais il n’y a pas que les moutons envers lesquels il ait peu d’égards. Les hommes en général et les indiens qu’il a rencontrés n’ont pas plus gain de cause à ses yeux, en comparaison avec les autres animaux de la nature.
Précurseur de la préservation plutôt que de la conservation de la faune et de la flore, John Muir, avec ce premier récit, rend un hommage qui ne se démentira pas à sa rencontre inoubliable avec la Nature.
Citations:
– p 13 : « Il [John Muir] proposait un idéal de vie, tout à la fois intellectuel et au plus près des forces vives de la création, là où le paysage devenait la géographie même d’un voyage spirituel… » (Michel Le Bris)
– p 123 : « Plus profonde est la solitude, moins grand est le sentiment d’isolement, et plus ceux que nous aimons nous semblent près. »
– p 135 : « Les âmes comme la sienne [Billy le berger] sont endormies, j’imagine, ou étouffées et embrumées sous les plaisirs et les soucis mesquins. »
– p 220 : « Englobés dans les vues d’ensemble, les éléments du paysage le plus sauvage paraissent aussi harmonieusement reliés entre eux que les traits d’un visage humain. »