
Blandine Rinkel, Vers la violence
Fayard 2022, 367 p.
La couverture (avec les croquis) annonce bien une progression (comme le titre avec la préposition “vers”) dans l’éducation de Lou évoluant vers l’animalité et la prédation (le prénom renforçant à escient le propos). Le préambule comme l’épilogue bouclent sur la métaphore du loup dont le motif joliment dessiné sur la première de couverture détaille en quatre étapes les esquisses du dessin final.
Tout d’abord, l’histoire entre un père et sa fille unique est lente à marquer la violence sourde et latente qui couve et menace. Elle se révèle peu à peu aux yeux d’une enfant (comme à ceux du lecteur ou de la lectrice) qui ne comprend pas et la transforme en règle de vie.
Le malaise s’accentue avec les interruptions encartées dans la structure du récit (les confessions du père pour une autobiographie mégalomane, les chapitres I, II, III, les ellipses temporelles), dont on pourait discuter la mise en place.
Bien que les relations de cause à effet ne soient pas à chercher forcément dans l’ordre de la logique, la relation morbide à son corps se traduit, pour Lou, par l’étranglement pendant l’acte sexuel (p 261). D’un autre côté, l’éducation survivaliste de la guerrière perdure et s’accompagne d’une discipline de fer que la jeune femme impose à son corps par l’intermédiaire de la danse. Ce sont les séquelles et en même temps la transfiguration du traumatisme subi pendant l’enfance.
La joie et la crainte qui persistent dans la relation filiale fondée sur l’affabulation et l’admiration pour un père prônant une virilité destructrice de toute « féminité sirupeuse » (p 64, 177 et 178), se transforment en dégoût et en rejet catégorique. La morale du proverbe « l’homme est un loup pour l’homme » justifie le refus de donner son rein pour sauver son père malade et la vengeance du type “œil pour œil, dent pour dent” est une leçon bien apprise !
Ce livre me rappelle Enfant de salaud de Sorj Chalandon (voir article ici). Le fils vénère un père charismatique mais mythomane, avant de comprendre que la réalité est tout autre. Il se met alors à le détester et n’apprend qu’à la fin la fragilité cachée de ce père si “viril”. Les points communs sont indéniables et bien que des différences soient notables (bien entendu), elles se font écho : le rejet de la féminité pour le père de Lou et celui de la faiblesse pour le père de Georges (Sorj), la culpabilité et les fautes de l’un et de l’autre qui font d’eux « un innocent et un meurtrier : un monstre à deux têtes » (p 37).
Car le doute s’est insinué dans l’esprit des lecteurs.trices (et de Lou, si elle a lu les confessions du père (?)). En effet, Gérard avoue : « Est-ce que je l’aurais fait exprès » (la mort de ses précédents enfants) et « quelque chose en moi voulait détruire » (p 329/330).
Les fantômes hantent les sur-vivants, « ils parlent à travers moi » dit Lou. Si c’est « une dernière chance de donner raison à l’absence », elle conclut pourtant que « la mort a toujours tort » (p 61), car « pour dire la disparition d’un enfant, il n’y a rien ».
Lou n’est pas et ne sera jamais Rebecca ! (p 277).
Citations :
– p 29 : « L’imagination est plus forte que le savoir » (Einstein).
– p 37 : « Mais les affabulateurs professionnels connaissent cette règle élémentaire : si les mensonges sont des édifices complexes, c’est d’avoir des vérités pour fondations. »
– p : « Mon père changeait un sentiment d’infériorité remontant à l’enfance en une surestimation du moi inouïe et inaliénable. »
– p 154 : « Ce n’était pas ses faiblesses, qu’on ne lui pardonnait pas : c’était sa joie. »
– p 218 : « On mesure ma naïveté d’alors (le désir masculin étant tout sauf un instrument de mesure de dignité), mais peu importe, j’y croyais ».
– p 240 : « Ils restaient assez vulnérables sur le plan économique pour ne pas mépriser leurs semblables. »
– p 274 : « Comment avais-je pu omettre la violence en héritage, cette boule de cendre que les morts lèguent aux vivants. »
– p 338 : « Juste l’idée qu’en s’améliorant, l’ensemble s’améliore, qui améliore l’individu en retour. »
– p 354 : « Mais la virilité papa, ce n’est taper sur la tête de l’autre. La virilité, même quand l’autre fait tout pour que vous cédiez à votre envie de vous jeter sur lui, c’est rester droit. »