
Jean Anglade, Le roi des fougères
2000, France Loisirs, 95 p.
Voici une histoire simple située dans l’Auvergne natale de l’écrivain – comme il les affectionne tant –, et dont les valeurs d’humanisme et d’universalité se retrouvent illustrées par l’aventure initiatique de Zébédée.
Jeune martiniquais débarqué à Clermont Ferrand avec sa famille, il fait l’objet d’une curiosité teintée de condescendance et de racisme ambiant (mais pas toujours). Il est confronté à la pauvreté, à une domination de classes sociales, à l’esclavage capitaliste (même des patrons vis-à-vis des autres patrons (p 79)), dont le père, la mère et « le roi des fougères » sont les victimes.
Et les réponses au problème ne sont pas données : la mère n’a pas d’autre solution que de pleurer, le père de se saouler et « le roi des fougères » de s’isoler dans un royaume qui rappelle l’Éden quand son « roi » prend la figure de Jésus (p50-1-2).
L’enfant humilié se rebelle et s’enfuit. Alors qu’il se demande pourquoi sa famille est venue habiter ici, loin de ses origines et de ses habitudes, la société (et les gendarmes) le rattrape.
La seule consolation qui lui reste réside dans ce petit frère aimé qui l’admire déjà, un nourrisson que leur mère lui tend ostensiblement comme pour lui donner la responsabilité d’être un meilleur modèle que leur propre père (p 95).
Une histoire de transmission donc pour clore un récit plein de l’innocence, de la fantaisie et des découvertes de l’enfance face aux désillusions des adultes.
Le «style vert» de Jean Anglade met en scène la nature humaine au sein de la Grande Nature. Avec un ton léger et sans morale comminatoire, le fabuliste compose une fresque qui remet les valeurs importantes à leur place.
Ce titre appartient à ma liste « Titres d’ordre végétal » (à consulter ici)
Citations:
– p 8 : « Bien sûr, l’Auvergne n’est pas le Canada. Mais toutes les forêts se ressemblent. »
– p 41 : « Je règne sur les fougères comme d’autres règnent sur le pétrole ou sur les pneus. Et si tu veux venir dans mon royaume, je te ferai prince. Prince des fougères. […] Dieu devait lui envoyer ce jour-là un bonheur qu’il ne fallait pas laisser passer sans le reconnaître. Qui sait si ce barbu n’était pas l’envoyé de Dieu ? »
– p 42 : ” La forêt n’était pas silencieuse, mais pleine de murmures, de chuchotis, de craquements, de gazouillements.”
– p 82 : « Jamais sa figure ne lui était apparue d’un noir plus noir, plus verni, pareil aux chaussures de M. Vigouroux, le directeur de Michelet. Avec désespoir, il comprit qu’il porterait toute sa vie cette couleur dont, cependant, il n’avait pas souffert jusqu’alors. »