
Sandrine Collette, Et toujours les Forêts
2020, éditions de l’épée, lu en version numérique, 223 p.
Il y a une majuscule à “Forêts” : c’est le nom d’un hameau. Il se trouve bien entendu dans une forêt, une forêt dévastée par la fin du monde…
Immédiatement, le style avec ses phrases courtes, une syntaxe hachée, un vocabulaire particulier, des paragraphes déstructurés et des transitions abruptes, déroute, happe et donne de la puissance à l’écriture, et de l’originalité à ce roman. L’ évocation du désespoir aussi bien que de l’espoir y est vivante et puissante.
Toutefois il faut bien noter que le thème postapocalyptique, lui, n’est pas nouveau bien qu’il apparaisse de plus en plus pressant, de toute évidence.
Je rappellerai donc René Barjavel pour commencer. Son roman de science-fiction dystopique Ravage (1943) raconte le naufrage d’une société technologique qui reconstruit une civilisation sur des bases justifiant la soumission à “la nature” en vue d’un repeuplement accéléré au détriment de l’individualité. Plus récemment, d’autres titres sont venus corroborer une évolution allant dans ce sens. Je citerais entre autres Trois fois la fin du monde de Sophie Divry (voir article dédié ici) et nombre de films.
Il peut s’agir de la manifestation d’un goût morbide pour le cataclysme, le mythe de l’apocalypse, la peur de la catastrophe et du désir inavoué d’un retour à l’animalité, à l’état sauvage, de la fascination pour un survivalisme héroïque. Ou bien d’avertissements répétés pour une catastrophe annoncée, avec la fin de l’anthropocène?
Il est un peu décevant de constater que les rôles restent inchangés malgré l’évolution de la société et bien que la nécessité fasse force de loi. La règle reste la même : le devoir pour la femelle neurasthénique (p 152, les portraits de femmes ne sont pas très élogieux) est de se vouer à la maternité, forcée, et de se sacrifier pour le mâle afin de protéger ses petits. L’homme quant à lui reste le violeur (p 127), mais celui qui reconstruit l’avenir (p 128)… De même, je m’étonne que les aînés des enfants devenus grands (plus de 18 ans), élevés un peu comme des “enfants sauvages” soient toujours considérés comme des enfants qu’il faut protéger, sans intervention de leur part. Le garçon est pourtant qualifié de “guerrier” mais il ne réagit pas comme un homme lors de l’attaque des barbares, alors que les filles se comportent comme des filles… L’ensemble est quelque peu stéréotypé.
Au début, les arbres sont hostiles à Marie, enceinte, rejetée par les dures grand-mères pour avoir fait du tort au petits-fils. Elle deviendra la mère indigne du futur petit Corentin (p 5). “Juste les Forêts”, le hameau ainsi nommé se confond avec la forêt elle-même dans le cœur de cette jeune femme qui ne l’aime pas, et qui n’en est pas aimée en retour. Les forêts sont noires, le sol aride, la vie monotone.
Après un détour par la Grande Ville, Corentin sera sauvé “grâce” à sa mélancolie, à ses rêves ratés, à ses saouleries dans les catacombes. En effet, sous terre, comme les morts, il a été protégé de “la chose” qui a tué en surface. Cette “chose” donc (non précisée) a brulé la terre – et la Terre – à un tel degré que le fer et le macadam ont fondu, que les arbres et les gens ont été carbonisés. Il est curieux de noter à cet égard que les magasins ont “des rayons entiers de marchandises secoués par la chose” (p 51) et que les victuailles demeurent mangeables. Certains objets sont restés intacts également, à l’exemple du sac à dos que le jeune homme prend pour rejoindre les Forêts.
Si le goût de la nature est un regret : “le cri des chouettes […] la couleur des fleurs […] le reflet argenté des poissons […], des graminées […], le goût des framboises […] (p 147), la renaissance de la famille et de l’espèce humaine dans la forêt des Forêts est en marche.
Citation:
“Qu’était-ce donc que cette race humaine, qu’y avait-il au fond qui ne soit pas seulement de la rancune et de la mauvaiseté (…)” (p 127).
Ce titre fait partie de ma liste “Titres d’ordre végétal” ici.