
John Le Carré, La constance du jardinier
2001, Seuil, titre original : The Constant Gardener, 489 p.
Je dois avouer ma plus grande ignorance de l’histoire politique de l’Afrique et de la succession des présidents à la tête de ses différents pays. Au début de ma lecture, le mot “Moi” a engendré un petit flou (pronom personnel mégalomane ?), avant que je me dise que sous la majuscule se cachait peut-être quelqu’un. Un tréma sur le “i” m’aurait assurément aidée, mais il n’y en avait pas. De ce fait, je suis allée regarder dans une encyclopédie et j’ai découvert Daniel Toroitich arap Moi (1924- 2020), président de la République du Kenya de 1978 à 2002. Tout s’éclairait. Ou s’assombrissait, vu que son régime de parti unique a été marqué par le durcissement de la répression, l’élimination de toute opposition par torture, les détentions arbitraires, la corruption à tous les niveaux, le manquement aux droits de l’homme et à la défense de l’environnement le plus élémentaire. Chômage et inflation, détournements massifs de fonds ont été perpétués pendant vingt-quatre ans.
Ce président règne au cours du roman écrit par John Le Carré. Il est appelé: Moi.
Nous sommes donc en Afrique, au Kenya. Tessa est morte. Justin Quayle, son époux cherche pourquoi. Le diplomate de carrière au haut-commissariat britannique de Nairobi découvre petit à petit l’étendue des machinations de multinationales pharmaceutiques et des alliances politiques. Il y a quelques courageux qui s’insurgent au travers d’associations humanitaires contre une mondialisation aveugle, régie par la loi du dieu Profit. Mais la corruption et la trahison sont partout.
Il est vrai que le roman s’appesantit de quelques longueurs, mais l’auteur y déploie toute son ironie mordante, son sens particulier du dialogue et son incisive lucidité. L’espion est ici un époux cherchant sa part de responsabilité dans son couple assassiné. Le pacte entre Tessa et Justin était-il viable ? La prise de conscience s’élargit lorsqu’il se confronte au capitalisme meurtrier, affronte les faiblesses des services du Renseignement britannique et la lâcheté commune.
Le jardinier, c’est Justin Quayle, le mari d’une femme engagée. Sa passion pour les plantes est (et peut être) considérée comme futile face aux événements hautement dramatiques qui se passent autour de lui et bien qu’il s’en culpabilise à la fin, elle révèle pourtant une constance qui s’exprime aussi bien au jardin qu’en politique et en amour.
Le film: Moins nominatif que le livre. L’aspect jardinier n’a pas été oublié. Bon thriller mêlant action, réflexion, émotion.
Citations:
– p 90 : « Bluhm est ce qui se rapproche le plus de l’honnête homme, insista-t-elle, comme si l’honnête homme était une espèce au même titre que l’homo sapiens. »
– p 185 : « D’accord, c’était une femme moderne. Bravo ! Elle menait sa vie, elle avait ses relations…, dit-elle avant un silence appuyé. Loin de moi l’idée que vous auriez dû la brider, ce serait sexiste. Je vous demande comment, dans les faits, vous avez pu rester totalement ignorant de ses activités, de ses enquêtes, de ses – comment dirais-je ? – de ses furetages, quoi ?
— Nous avions un accord. »
– p 267 : « Grâce à ses freesias jaunes, il vient de pénétrer dans le dossier Arnold et d’y trouver un tract sur les droits de l’homme. »
– p 281 : « « Il faut lui apporter des arbres », qu’elle m’a dit. Elle sait, voyez-vous. Elle sait. »
– p 454 : « Notez bien ça, mon gars. On ne donne les denrées qu’aux femmes. Les hommes, on ne leur fait même pas confiance pour traverser la route, ces crétins, ça non ! Ils revendent notre bouillie sur les marchés ou ils en font faire de l’alcool par leurs femmes. Ils achètent des cigarettes, des armes, des filles. Les hommes sont des bons à rien. Les femmes s’occupent du foyer, les hommes font la guerre. L’Afrique entière est une lutte des sexes, mon gars. Seules les femmes accomplissent le travail de Dieu, ici. Prenez note. »