Sylvain Tesson, La Panthère des neiges
2019, Gallimard, lu en numérique,124 p.
Suivons donc cette femelle d’exception selon Aristote et Sylvain Tesson qui voit au travers de ce mâle au nom femelle (curiosité de la langue française) un animal rare d’autant plus qu’il est en perdition. Il lui rappelle sa mère et une femme qu’il a aimée, toutes les deux perdues. Bête sauvage, femme ou image symbolique, elles ont la force d’être solitaires parce qu’elles n’ont pas besoin de la tribu de leurs congénères. Sylvain Tesson est-il le lionceau de la dédicace à la mère ? En tout cas, il scrute l’animal – l’animal en lui ?
Quoi qu’il en soit, ce récit animalier accompagnant une chasse photographique (avec Vincent Munier) prend figure de recherche initiatique pour un homme qui s’amuse en disant « En voyage, toujours emmener un philosophe avec soi » (p 20).
Car en effet, le déterminisme animal (P 48), cette « idée fixe » « géniale » est souverain et s’oppose à l’indécision humaine. La stabilité minérale, le nihilisme et l’engourdissement à l’épilepsie du monde moderne. La patience, le consentement se rapprochent de Dieu (p 24), « l’affût est une foi modeste » et le « commerce avec les bêtes [est] une prière » (p 65).
Le silence et la patience amènent donc l’auteur à ponctuer son récit de réflexions socio-politico-philosophiques et à faire « comme les mystiques : [saluer] le souvenir primal. L’art aussi servait à cela : recoller les débris de l’absolu », des réflexions qui ne sont pas des « pétards inutiles » puisqu’ils démystifient toute vision exotique d’un Tibet aux paysages rudes et au froid glacial, envahi par la chine économique.
La paix et la plénitude qui suivent l’excitation de l’affût apparaissent comme sagesse, poésie et vraie connaissance au vu de la version hâtives de nos vies chiffrées et que le lecteur – comme l’auteur – voudrait atteindre, sans être forcément le yack ou la chèvre à qui Dieu n’a pas demandé s’ils auraient préféré être l’ourse ou la panthère.
Le cycle de la vie, de la mort et de la pourriture rythme les cercles domestiques autant que sauvages. Les énigmes du Tao et les états d’âme tournent parfois un peu en boucle pour avertir de la fin des panthères et de « la domination du vivant » par l’homme qualifié de « politburo de la terre » (p 68).
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