Leïla Slimani, Chanson douce
2016, Gallimard, lu en numérique, 169 p.
L’histoire de cette nounou aurait pu être sinon banale ou ennuyeuse voire déprimante mais le procédé initial et la tension maintenue au cours du récit la rend poignante et terrifiante.
En effet, le début in ultima res provoque immédiatement la curiosité du lecteur qui veut savoir pourquoi ça s’est passé comme ça. Le retour en arrière reprend le récit en alternant les personnages : les parents, la nounou, la fille de la nounou, la voisine… Les différentes voix s’entrechoquent et continuent de briser la linéarité du rythme.
Le récit commence donc par le drame puis revient sur le début d’une histoire idyllique entre des parents-employeurs et une nourrice à domicile. Petit à petit, les premiers signes troublants apparaissent. La maniaquerie compulsive du nettoyage (p 18) présuppose une phobie du sale (qu’est-ce que le sale ? la notion varie pour chacun). Quelques mots frappent : « un soin rageur » (p 19), « conquérir » (p 21), le « joug » (p 22). Lorsqu’elle « étudie l’agonie” des enfants lors d’un jeu de cache-cache (p 34) ou qu’elle conclue une histoire en disant que ce sont les gentils qui meurent (p 25), elle annonce la fin. Ce sont autant d’indices révélateurs – non pas du drame, que l’on connait déjà – mais de l’explication du geste à venir.
En décrivant la nounou sous l’angle de ses qualités, de sa dévotion et de sa générosité, l’auteure montre la complexité d’une personnalité à double tranchant : un être qui s’efface n’est pas exempt de violence. Loin de là. La latence de la pulsion est donc distillée tout au long du roman et le lecteur attend de savoir quel sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase et déclenchera la tempête sur les eaux dormantes ! Le caractère d’imprévisibilité angoisse au moins autant que la facilité avec laquelle on a de s’abandonner au confort d’une confiance trop largement accordée.
Ce livre me fait penser au film « The hand that rocks the craddle » dont le synopsis dit que c’est “the hand that rules the world”. L’image de la bonté donne confiance et rend vulnérable toute personne qui ne sait pas déceler l’hypocrisie, la manipulation, les griefs ou l’instabilité, sous-jacents, parfois. Elle peut devenir une arme très dangereuse. Dans le film, la nounou s’en prend aux parents, dans le livre de Leïla Slimani, Louise s’en prend aux enfants
Cette histoire me fait également penser à la nouvelle que j’ai écrite (antérieurement à ma lecture de Chanson douce) intitulée : La petite robe noire de Noël (voir rubrique Écritures) pour ce qui concerne le prénom du personnage et pour l’état de grande solitude – voire d’amertume, sentiment qui lui est souvent corollaire – qui s’y trouve développé. Ces ressemblances sont fortuites.
Citation:
“Mais dans quel lac noir, dans quelle forêt profonde est-elle allée chercher ces contes cruels où les gentils meurent à la fin, non sans avoir sauvé le monde ?” (p 25)