Arturo Pérez-Reverte, Club Dumas
Le Livre de Poche, 1993, 446 p
Club Dumas est une longue enquête de bibliophile dont la complexité joue sur deux tableaux : Dumas et Satan. Les deux histoires s’entremêlent à cause de l’érudition « trop » poussée de Lucas Corso, chasseur de livres. « L’abus de l’intertextualité » est coupable, conclut l’auteur (p 414) qui confond intentionnellement et avec malignité, réalité et fiction.
L’intrigue se noue comme un standard du polar : alcool, meurtres et jolies filles (les jeunes comme les vieilles femmes sont toutes jolies (Irène, Liana et Frida). D’un côté, Milady est au service de Richelieu, secondée par Rochefort : un club littéraire pas si satanique que cela, bien qu’il soit aussi hermétique que risqué. En revanche, de l’autre côté il y a la recherche d’un ouvrage intitulé Les neuf portes qui serait l’évangile selon Satan (p 274). Il démontrerait à preuve du contraire l’existence du diable, l’étendue et la nature de ses attributs.
Lucas Corso est présenté comme la caricature du détective privé : maigrichon et mal rasé, ivrogne et désabusé. C’est un « prédateur sans faim ni passion » qui n’a d’« autre but que la chasse pour la chasse » et qui est « mort comme [s]es proies » (p 372-13). Il cherche à réunir les trois derniers exemplaires d’un ouvrage de démonologie dont les neuf gravures sont similaires mais distinctes (le lecteur se prend au jeu et cherche les erreurs sur les gravures intercalées dans le livre). À la suite d’un parcours semé d’embûches et d’énigmes, il atteint le dénouement sans toujours comprendre ce qui lui arrive. Il part sans son argent et sans assister aux derniers excès démoniaques de son criminel commanditaire, Varo Borja (« Borgia » ?), qui finit…on ne sait pas vraiment, même si on se doute qu’il meurt dans son dernier accès de démence – en plein échec.
Lucas Corso retrouve Irène Adler : romance et happy-end inattendu vu que la jeune fille se présente uniquement et répétitivement suivant les mêmes traits : yeux verts translucides, sans âge réel, grande force physique et de caractère mais peu bavarde et indifférente à tout, sauf à Corso. Ange ou démon, est-elle son garde du corps ou son ange gardien ? Un golem ? Ou un miraculeux hasard de rencontre ?
Arturo Pérez-Reverte fait montre d’une documentation et d’un savoir brillants. Bien que l’écriture reste fluide, Club Dumas peut dérouter amateurs et néophytes qui ressentent l’impression confuse d’être menés en bateau. Et quand le « je » qui intervient à de rares reprises (Boris Balkan) se dévoile comme le maître du jeu (n°1) et qu’il disparaît, son histoire terminée, le lecteur se demande : qui raconte la fin de l’histoire n°2 (à la 3è personne) ? La réponse est bien sûr évidente et l’auteur mêle deux récits de deux narrateurs différents, pour un effet de style décalé.
L’écrivain semble s’être amusé à écrire cette intrigue. Si on relève le passage (p 389-90) qui soutient que : « Les gens écrivent pour leur divertissement, pour vivre plus intensément, pour s’aimer eux-mêmes ou pour que d’autres les aiment. Je partage certaines de ces intentions » ; et celui de la page 392 qui enchérit : « je suis de ceux qui croient que le divertissement un excellent mobile pour jouer. Également pour lire une histoire, ou pour l’écrire », il nous tend la main pour nous dire que c’est ainsi qu’il faut lire Club Dumas : comme un divertissement.
2 commentaires
Bonjour
Est-ce un polar ou une enquête d’esthète ?
Merci d’avoir posé cette bonne question, Angelo.
Je répondrai : les deux, ou un thriller littéraire.
Il y a une enquête – qui n’est pas menée par un policier mais par un érudit – sur un manuscrit de Dumas et un livre de démonologie. Il y a des meurtres, des bagarres, des poursuites et des secrets, des manipulations : tout un cocktail de rebondissements et de mystère qui fait un bon livre d’action : alors polar, enquête, thriller ou livre d’action, quel est le terme approprié ?
Quoi qu’il en soit, s’il est bon de connaître un peu la littérature (Dumas, par exemple), il n’est pas nécessaire d’être savant en livres anciens : Satan parle à tout le monde !