
Adèle Van Reeth, La vie ordinaire
2020, Gallimard, nrf, lu en numérique, 141 p.
C’est en assistant à La Grande Librairie que l’intervention d’Adèle Van Reeth m’a convaincue de lire son livre. Il est vrai que la philosophie n’a jamais pris pour objet d’étude la grossesse et la mise an monde d’un enfant, si ce n’est par une métaphore avec la maïeutique d’Aristote. Il est vrai aussi, comme le souligne A. Van Reeth que la philosophie a toujours été dominée par les hommes. Et si on cite Simone de Beauvoir, Simone Weil et Hannah Arendt, il n’en reste pas moins que ce sont des femmes qui n’ont pas connu l’enfantement.
Avec une amorce sur une grossesse en cours comme déclencheur d’une remise à plat de « la vie ordinaire », j’attendais un approfondissement de ce thème, semble-t-il primordial. Quel que soit son genre (est-ce un bref roman, un récit, une confession, une tentative philosophique, un essai ?), ce livre a le mérite d’avoir posé des questions et des repères. La citation de R. W. Emerson étant un préambule opportun.
Adèle Van Reeth regarde la vie de près, de très près. Elle distingue la vie « possible » et « la vie banale », fade, facile, ennuyeuse, quotidienne. Il semblerait qu’il faille trouver du nouveau et de l’étrangeté dans la vie ordinaire pour que s’apaise une « intranquilité » de base, une insatisfaction toujours renouvelée (p 11), en prenant garde de ne pas mettre en avant le grandiose, ni les joies que les moments procurent car « les partisans de la joie s’accordent dans le mépris du bonheur » (p 29).
Adèle Van Reeth convie Pessoa, Montaigne, Pascal, Sartre, et quelques autres à sa table d’écriture pour déjouer les contradictions, la mauvaise foi et le cynisme : « le conjoint est le réceptacle des pensées stériles et des phrases en l’air » (p 61). Puis, elle revient à l’étymologie du mot ordinaire issu de « ordinare » (mettre en ordre) pour affirmer que la répétition est inéluctable et que son contrôle rassure : « la maigre ligne de l’existence à laquelle tout se réduit et que la vie ordinaire tente de maîtriser » (p 63). Toutefois, en réaffirmant que la vie qu’elle recherche n’est pas celle qui fait vivoter, sans envies et sans projets, elle accole le préfixe « extra » à « ordinaire » pour l’en différencier.
« La vie ordinaire » est l’histoire d’un livre qui se fait à mesure que l’écrivaine vit et écrit. Comme un aboutissement (ou un enfantement). Néanmoins, la vie et la mort continuent de prendre leur place dans la chaîne des jours et l’écrivaine semble s’appliquer à elle-même le principe selon lequel « nos journées ne peuvent pas se composer exclusivement du récit que l’on en fait aux autres. Sinon, autant les inventer et, au lieu d’être des routiniers de l’ordinaire, devenons écrivains » (p 64). N’est-ce pas ce qu’elle fait avec ce livre ?
Citations :
P 6 : “si la vie domestique porte bien son nom, sa fonction est d’apprivoiser le fauve en la demeure.”
P 50 : ” le secret d’un exil réussi, c’est d’être seul, mais au milieu des autres.”
Extrait de La Grande Librairie à voir ici.